III Les géoglyphes : types, répartition, articulation (suite)
 

Relation entre types de géoglyphes

ClarksonClarkson, The archeology of the Nazca pampa, Peru : Environmental and cultural Parameters, dans A.F. Aveni, the lines of Nazca, op. cité, p. 115-170. a suggéré, sur la base de la datation céramique, que les géoglyphes géométriques et de lignes droites aient été plus tardifs que les figuratifs, alors que Maria Reiche et Kern considèrent au contraire que les deux types étaient en relation. Mais Clarkson soupçonne ces deux spécialistes, dans leur zèle de réhabilitation et restauration des dessins, d'avoir si bien nettoyé et dépoussiéré leurs traits qu'il est impossible, en cas de superposition, de déterminer l'antériorité des uns par rapport aux autres. Cependant les traits des géoglyphes étant renforcés, en leurs deux lisières, par les murettes de pierres ôtées dans le décapage du sol pour justement tracer les silhouettes des gravures, qu'elles soient géométriques ou figuratives, il paraît difficile de suspecter Maria Reiche d'avoir fait disparaître les rives caillouteuses d'un dessin lorsqu'il en oblitérait un autre : alors que cette trace et barrière lithique délimite parfois, une figure surimposée à une autre, la tenace passionaria de la pampa, s'est justement émue et interrogée du cas inverse, quand il y a interpénétration ostensible des deux géoglyphes avec suppression dudit rebord à la croisée des traits propres à chacun. C'est le cas par exemple du complexe n° I2, fourni par le relevé de Maria Reiche, où le plus grand des protomés d'oiseaux s'imbrique sans séparation des lisières de trait avec une grande surface triangulaire, puis barre par contre, en s'affirmant de ses murettes en place et relevées, une autre surface géométrique, contiguë à la première, traitée différemment. Dans cet exemple, il faudrait admettre que la restauration a été inversée, ou alors que le second triangle est antérieur à l'oiseau. Enfin, dans nombre de dessins figuratifs complexes, et bien que soit évité en général le chevauchement du trait qui les trace, il arrive qu'en cas de croisement la ligne barre intégralement son étape tout juste antérieure, alors que la partie prolongée ensuite d'un seul tenant date, aussi exclusivement, d'un instant ultérieur, le tout étant chronologiquement cohérent dans un processus ayant durée.

Vraisemblablement le croisement, affirmé ou non, des traits de deux figures différentes eut signification pour leurs concepteurs, donc l'a pour l'archéologue qui se penche ultérieurement sur le phasage des travaux. Certes, dans l'ensemble, les surfaces géométriques se surimposent aux figuratives, mais la datation des céramiques associées ne montre pas des séquences si absolument tranchées et sans interférences. Il y a d'ailleurs déjà des superpositions ou des voisinages de dessins qui semblent comme des reprises du même sujet, par exemple ceux des savantes spirales, à peine translatées, l'une par dessus l'autre, peut-être seulement par souci perfectionniste. Nous avons vu plus haut qu'une tête d'oiseau huppé au bec crochu allonge le sien juste à l'avant de celui du protomé plus trapu d'un volatile complètement dessiné, comme si, antérieure, elle n'était que le début ou prototype malhabile et déformé du postérieur et définitif, en créant ainsi une fictive composition, alors qu'il dut y avoir succession de travaux correcteurs. Même AveniA. F. Aveni, op. cité, p. 100. concède que quelques connections entre lignes zigzaguantes et dessins biomorphes sont assurées. Il n'y a pas de doute que le géoglyphe du singe inclut les 16 lignes parallèles contiguës et coupées par un fin trapèze, ou que celles du géoglyphe dit de "l'aiguille et du fil" de Cantalloc, aboutissant à une spirale, s'inscrivent dans un tout unique. Et ce qui est caractéristique, avec ce dernier cas, c'est que dans sa foulée le dessin du trait zigzaguant chevauche le triangle dont il provient, parce que la projection le situe, passant ensuite devant, d'où nécessairement, à l'origine, une miniature se présentant en trois dimensions.

La plante radiculaire est de même clairement rattachée à un triangle par le fil à méandres qui en émane. La frégate, le cétacé n°9 assurément, ou le motif crossé et la fleur sans doute, sont autant de géoglyphes naturalistes liés et engendrés de la même manière, à partir de grandes aires géométriques.

Alors faut-il suivre Aveni lorsqu'il affirme que "le colibri avance par dessus les figues linéaires seulement parce qu'il a été balayé proprement dans le dernier quart de siècle" ? Il se dégage en effet une impression d'ensemble d'un géoglyphe à la fois naturaliste et géométrique implanté sur un espace bien circonscrit et s'étalant entre les limites d'un plateau en pampa. Triangle, trame de lignes orthogonales où s'insère le bec allongé de l'oiseau créent d'autant plus ce sentiment d'unité que la petite base dudit polygone et les deux lignes qui sont presque parallèles à ce côté l'apparaissent aussi aux deux traits qui forment le bec de l'oiseau. D'où une commune et logique bonne vision de la globalité du géoglyphe depuis un centre à découvrir dans le prolongement médian du triangle, au nord-ouest. Il y a comme une anomalie dans le bec très long du volatile, dont les traits, tels les homologues traçant celui des autres géoglyphes d'oiseaux, ont tendance presque à ouvrir plutôt qu'à boucher et fermer, en son extrémité, l'appendice corné, parce que le fil d'origine entrait et sortait sans se boucler ni croiser sur la miniature.

Quoi qu'il en soit de la plus ou moins profonde articulation (chronologique ou / et structurelle) entre les deux grands types de géoglyphes, il demeure entre eux, à des filiations près, une communauté de caractéristiques : même procédé de traçage et curetage au sol, mêmes déformations, mêmes lieux (sauf en fréquence de répartition) et types d'implantation, même association à de la céramique hydrophore. Il découle donc, pour l'ensemble desdits dessins, une explication unitaire, cohérente, au moins sur le plan technologique, et qui ne laisse la possibilité de les dissocier qu'en matière d'objectifs cultuels ou culturels ayant pu évoluer, comme les autres restes archéologiques qui leur sont associés. Certes les géoglyphes biomorphiques sont essentiellement concentrés à la sortie d'une longue langue de basses terres (+500 m) de la vallée de l'Ingenio et que domine ou cerne vite la ligne altimétrique des 2000 m d'où l'on dominait bien la situation et le travail à faire sur la pampa. De plus petites tailles, avec leur fin filigrane à projeter, ces dessins là demandaient grande acuité d'un opérateur mieux et plus haut perché pour les diriger qu'il ne le pouvait sur certains centres linéaires trop peu émergents.

 

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