I La méthode et les données de l'hypothèse
 

La méthode d'approche

Le foisonnement de propositions pour expliquer les motivations et les procédés de traçage des géoglyphes de Nasca tient à la multiplicité, à la taille extraordinaire de ces derniers et aux centaines d'hectares de leur subjectile terrestre. Soit en ayant les yeux rivés exclusivement au sol, soit en se fiant aux seuls relevés cartographiques ou aériens plus ou moins précis, l'abondance de données, leur gigantisme spatial et numérique ne permettent pas d'en faire très vite la synthèse. Et l'étude fine de quelques figures isolées par contre peut entraîner à des déductions hâtives qui se heurtent à la réalité différente ou contraire de la multitude laissée en friche. Pour illustrer le propos, imaginons un archéologue extraterrestre portant son étude sur notre civilisation disparue à partir de vestiges trouvés : une bible du XVIIème siècle, un traité de géométrie descriptive du XIXème, et un agenda du XXème. Il y découvrirait incontestablement un mode d'expression utilisant le papier, des caractères d'écritures groupés selon des règles évidentes, en mots et en phrases. Faute d'en comprendre le sens, il pourrait s'aider des illustrations : un homme crucifié avec la lune et le soleil à sa gauche et droite dans le premier ouvrage, des figures d'une sphère avec son ombre au flambeau en forme de croissant sur le second, et une séquence répétitive des phases de la lune sur le troisième pourraient au total lui faire déduire, à partir d'un commun globe, que les terriens avaient une idéologie plus ou moins rationnelle ou un culte du soleil et de la lune. A vrai dire cela ne serait pas faux pour telle étape chronologique et particulière de notre civilisation, mais globalement erroné pour une analyse circonstanciée de l'humanité, sur des dizaines de millénaires et à travers tous les continents ayant porté des milliards d'individus.

L'erreur découlerait notamment de ne pas avoir su distinguer des formes historiques de caractères typographiques, pas plus que différencier la conduite du libellé en un seul tenant (la bible) d'un tableau séquentiel d'éphémérides (l'agenda), ni remarquer l'étroite corrélation du texte et des figures dans le traité de géométrie.

Séparer en catégories étanches ou au contraire mettre à priori tous les géoglyphes de Nasca, sans tri, dans un même lot fourre-tout, conduit au même écueil. Il ne suffit pas que ces dessins aient tous un caractère commun, lié à une technique de rendu ou d'expression, à savoir qu'ils soient produits en grande taille par éviction de gros cailloux sombres sur un sable sous-jacent jaune clair, en donnant ainsi corps et forme à un graphisme ou tracé, pour que l'objectif particulier de chacun soit toujours de même signification, nature ou datation. Il est donc indispensable de bien repérer, sélectionner, définir des variétés de géoglyphes aussi à partir d'apparentes minimes différences, ou de ce qui peut être considéré à tort comme des écarts sinon relevant d'une liberté du concepteur, voire à partir de "défauts", alors parfois corrigés intempestivement ! Dès lors qu'on croit pouvoir rassembler dans un même mode d'examen des figures qui, malgré quelques caractères de proche apparentement en ont aussi de fondamentalement spécifiques, pire, lorsqu'on omet, par systématisme, d'évoquer les contradictions de certains détails par rapport à d'autres en voulant les plier à une théorie proposée, il y a incontestablement un vice de raisonnement. Et cela par crainte que l'inexpliqué soit la preuve d'un errement, ce qui n'est pas systématiquement le cas !

De propositions dont les insuffisances ou imperfections ont été soulignées par la critique des concurrentes, et qui ont justifié d'échafauder en conséquence d'autres hypothèses ou théories, parfois plus fragiles, il n'est pas nécessaire de reprendre les argumentations pour ou contre, car elles sont en général bien débattues ou présentées dans les ouvrages de synthèse sur les géoglyphes. Nous nous contenterons d'y faire au passage allusion quand pour de mêmes faits, les conclusions que nous en tirons vont à l'encontre des susdites.

Notre hypothèse est que les mégafresques et géoglyphes géométriques ou linéaires sont les résultats d'un travail de perspective agrandissante, tracés sur la pampa par projection conique visuelle à partir de petits motifs d'orfèvrerie filigraniques ou de feuillards d'or de dimensions réduites.

Comment conduire la démonstration justificatrice ?

Dans la chaîne opératoire complexe ayant produit ces mégafresques il nous faudra donc chercher les indices graphiques de cette perspective agrandissante et conique sur les géoglyphes eux-mêmes. On devra trouver leur mode d'engendrement et le matériel ayant permis la mise en œuvre du procédé. C'est-à-dire aussi étudier les modèles réduits ayant servi à la projection. Puis à partir de leur thème, de ce que disent, dans leur langue quechua, les autochtones de Nasca, sur ces mégafresques et leurs lieux d'implantation ou de visibilité, vérifier la cohérence de l'hypothèse avec l'ensemble des éléments, comme avec tout le savoir archéologique sur les préincaïques du pays.

Parce que dans l'étude de tout phénomène artistique on ne peut séparer complètement la technique, la forme et le fond, nous nous engagerons enfin, prudemment espérons-le, dans l'articulation plus polyvalente de ces trois éléments, c'est-à-dire avec moins de certitude, et souvent plus de questions que de réponses.

fig.02 Carte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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