I La méthode et les données de l'hypothèse (suite)
 

La perspective et la projection conique

La perspective, le cinéma et la photographie sont les développements techniques et les fruits artistiques de la projection conique.

On désigne sous le nom de perspective des procédés graphiques permettant de représenter les figures de l'espace. Nous n'évoquons que la perspective courante, dite conique, parce que c'est la seule qui place l'œil à distance finie. En d'autres termes si l'on veut que la perspective représente les figures de l'espace telles que notre œil les voit, c'est à dire donner de ces dernières des images engendrant l'impression de la réalité, la modalité conique est la seule à répondre le mieux à l'objectif Dans le présent et les suivants paragraphes sont repris les éléments de présentation de C. Boucher, Perspective, Encyclopédie pratique du bâtiment et des travaux public, Quillet éd., 1953, t. I. Pour les corrélations du terme avec l'étymologie et la toponymie, voir en partie finale de notre étude..

Etant donné un point A de l'espace, un point Œ, l'œil de l'observateur et T, un plan situé soit entre A et Œ, soit dans le prolongement de Œ A, on appelle perspective conique du point A sur le plan T le point a1 ou a2 où le rayon visuel OA traverse le plan T, dit plan du tableau. Il y a donc deux types de perspective conique : la traditionnelle, celle des œuvres des peintres anciens, où le tableau est entre l'œil et l'objet en réduisant l'image de ce dernier, et celle que nous croyons explicite à Nasca, quand l'œil et l'objet sont du même côté du tableau, ce qui agrandit l'image dessinée.

Dans les deux cas, la perspective d'une figure de l'espace est le dessin formé par l'ensemble des perspectives de tous les points. Plus généralement le tableau peut être une surface quelconque, éventuellement un peu irrégulière, au lieu d'être un plan lisse et uniforme. L'œil étant le centre de projection d'une faisceau conique de rayons visuels qui tangentent, circonscrivent ou percent l'objet à figurer, le procédé justifie le qualificatif donné à ce genre de perspective. Ses conséquences graphiques sont que la figure obéit toujours aux règles de la géométrie classique pour ce qu'elle enseigne sur la section d'un cône que définit le contour apparent de l'objet, lieu géométrique des points de contact du faisceau des génératrices droites et tangentes sur la directrice que forme ledit contour, reporté ensuite (réduit ou agrandi) sur le plan de projection en un tracé, homothétique ou pas, selon que ledit tableau est parallèle ou non à celui du contour. A titre d'exemple simple notons qu'un cône droit ou de révolution à base circulaire est sectionné en général par un plan quelconque selon une ellipse, sans exclure les cas particuliers d'autres courbes dites "coniques", notamment la parabole (théorème de Dandelin).

La vision binoculaire engendre des phénomène qu'il faut, selon le besoin ou l'objectif d'une représentation, savoir utiliser ou éliminer Voir en Bibliographie Sommaire quelques ouvrages à consulter sur le sujet, notamment Encyclopaedia Universalis..

En général un œil unique ne voit jamais que deux des faces verticales d'un objet prismatique et même pas deux génératrices diamétralement opposées d'un cylindre. C'est le cas d'un barreau de grille ou d'un fil métallique. Cependant, il peut arriver que, par la vision binoculaire, on voie trois des faces d'un parallélépipède : celle qui est tournée vers l'observateur, vue par les deux yeux, celle de droite vue par l'œil droit et celle de gauche vue par l'œil gauche. Vision semblable aussi, sur un cylindre de petit diamètre, bref, dans les deux cas, quand l'épaisseur du solide examiné est plus petite que la distance qui sépare les deux yeux. Donc il en résulte qu'un corps étroit, tel encore qu'un barreau de grille ou un fil métallique, alors ne masquera complètement aucune des parties des objets situés à une certaine distance en arrière. En effet l'œil gauche verra tout l'espace devant lui, sauf la région masquée (GG) ; l'œil droit verra de même tout le secteur occulté (DD). Et un point A suffisamment éloigné, bien situé, exactement derrière l'objet écran, dans l'angle échappant aux deux susdits secteurs d'occultation, sera vu des deux yeux, comme si l'obstacle n'existait pas, comme s'il était transparent. Par contre un point B ou C de chaque secteur d'occultation pour un œil sera vu de l'autre organe oculaire, et enfin un point K, placé dans le triangle commun aux deux secteurs d'occultation sera masqué pour les deux yeux. En fait, lorsque le regard se fixe sur un objet situé au delà d'un obstacle de ce genre, l'objet ou paysage (ou plutôt la surface apparente qu'il présente un peu différemment pour chaque œil, mais synthétisée) est vu en entier et l'obstacle apparaît comme transparent car en fait dédoublé. L'expérience est facile à réaliser avec un crayon ou un fil métallique tenu vertical et dans l'axe du nez, à distance rapprochée.

Sauf par trucage photo il est évident que le phénomène ne peut être traduit exactement dans un tableau traditionnel : il serait incompréhensible de figurer un parallélépipède avec trois faces vues, voire de dédoubler les objets d'immédiat premier plan, ou encore de laisser apercevoir à travers eux les arrières plans.

Mais dans le cas où le plan du tableau (sur lequel on dessine) est le sol naturel et le modèle, "l'obstacle" se situe entre ce terrain et l'œil. Le phénomène prend un intérêt évident puisque le motif à projeter étant à la fois présent et quasi transparent son report agrandissant , très en arrière, peut être suivi et guidé avec une haute précision. Il se reproduit un peu la pratique du dessin perspectif sur une glace transparente, telle que Léonard de Vinci l'avait mise au point, mais excluant cette nature de matériau, sans nécessité en ce cas, et d'ailleurs inconnu des Précolombiens. Reste que cette mise en place conjugue bien les deux données concrètes du cas de figure péruvien. Avec un œil pour caler le motif sur le plan de projection (le désert), mais avec deux yeux pour rendre l'obstacle transparent et mieux suivre l'opérateur ou ses aides traçant au loin le contour dudit motif, il apparaît là une sorte de dessin perspectif qui diffère de l'usuel en ce qu'il agrandit le sujet reproduit au lieu de le réduire sur le tableau singulier qu'est le sol de la pampa. Il y a là de quoi émerveiller par la nouveauté d'une technique qui résolvait deux prouesses inédites : mettre en perspective et agrandir, avec toutes les implications idéologiques et cultuelles qui pouvaient mettre en exergue et valoriser le procédé.

Or ce qu'il faut souligner, c'est qu'un motif engendré par un fil est la condition indispensable pour la reproduction correcte d'une sujet tridimensionnel (avec courbes et contre-courbes qui ne peuvent être aussi facilement jalonnées par les arêtes de plaques opaques à figures géométriques), et donc nécessitant la transparence que seul donne le filigrane.

fig.03 Croquis de principe de la perspective conique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

fig. 04 : Croquis sur la vision binoculaire d'un objet plus ou moins masqué

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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