I La méthode et les données de l'hypothèse (suite)
 

Un nez à la Cyrano

La mise en perspective (réductrice ou agrandissante) d'un motif à dessiner (quel que soit le tableau support de cette illustration) est une tâche qui demande application, méthode, discipline. Et la longueur corrélative du travail, nécessitant poses répétées, implique de bien le reprendre là où on l'a quitté, selon les mêmes positions de l'œil, du sujet d'observation et, plus généralement, de toutes les données spatiales les mettant en œuvre. Donc il faut être très méticuleux pour exécuter une perspective agrandissante car le moindre écart dans l'angle d'attaque du regard sur un bijou filigranique à reproduire en grand change trop la taille et les proportions de la figure projetée. Même équipé d'un masque à jumelles d'acuité un bon technicien peut, involontairement, debout, assis, ou en quelconque position, ne pas reprendre immuablement la même place ou attitude, donc ne pas toujours immobiliser sa tête et son œil à distance fixe de l'objet circonscrit du regard. Et cela même en ayant éliminé l'interférence qu'ajouterait la vision binoculaire du bijou à dessiner.

Tout change si ledit objet filigranique est solidarisé au masque à jumelles, c'est-à-dire s'il est indissociablement lié à l'observateur par le maintien de la même relation ou position visuelle qui doit physiquement les enchaîner mutuellement. Or le nez du masque de Brooklyn offre une telle possibilité : avec plus de stabilité que comme support à la monture d'une paire de lunettes ordinaires, il est transpercé de deux rainures et fentes longitudinales, reliées aux arêtes voisines (inférieure et supérieure) dudit long appendice en céramique, selon deux prolongements sinueux : des encoches formant arrêt, et qui empêcheraient deux fils rigides y étant introduits depuis le bas ou depuis le haut de glisser et annihiler quelque procédé d'attache, tout en ayant permis au départ la fixation.

La superposition de ces fentes longitudinales dans le même plan vertical et axial du nez ne plaide guère pour l'accrochage de quelque ornement rituel et typique, comme celui que portaient les hauts personnages nascas : cet ornement de nez était accroché symétriquement alors que la superposition des susdites encoches induit plus logiquement l'adjonction dissymétrique de quelque élément, ce qui serait nuisible à l'effet hiératique qu'implique un cérémonial.

Les rainures ou fentes semblent créer un jeu de glissières. Idéal pour fils d'or de 1 à 3mm environ de diamètre, suffisant pour soutenir puis engendrer un bijou filigranique encore plus fin ! Malgré leur facture très décorative dans ce long nez insolite les sillons percés affaibliraient sa robustesse s'il n'était pas autant (et à dessin) proéminent, robuste, volumineux. Les fentes ne relèvent pas non plus d'une utilité pour le port du masque dont l'attache, à la tête de l'opérateur, se faisait par l'arrière. Et ces glissières ne correspondent pas davantage au traitement expressionniste et artistique de la moindre structure ou morphologie nasale, tant interne qu'externe. D'ailleurs le départ des trous des narines est figuré sur le masque (mais non percé), juste en dessous dudit appendice en céramique, tant il est évident que de ce dernier le volume lamellaire, transpercé par les glissières, élimine toute corrélation respiratoire, tributaire d'une anatomie appropriée, mais ne demeurant ici plus que formelle, dans un traitement esthétique la minimisant ou l'hypertrophiant.

Force est donc, par élimination de divers usages que ces encoches pouvaient avoir, de leur supposer une aussi crédible fonction utilitaire, sans doute dissymétrique et liée à la vision très spécifique des jumelles d'acuité sur le même masque. L'objet semble équipé d'un nez dont Cyrano aurait pu dire mieux que nous, le rôle de porteur merveilleux qu'il jouait.. pour accrochage des motifs dorés à projeter sur la pampa ! Mais à condition de s'en tenir à des limites d'accommodation de l'œil sans trop durable fatigue et reliant de manière précise et contraignante les distances entre la miniature, l'œil et le terrain de projection.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et avant la "visionneuse mexicaine"

Rien ne ressemble plus (pour la morphologie générale) au masque de Brooklyn quel a visionneuse stéréoscopique (dite "mexicaine" en France et "américaine" aux USA) que possède, en divers exemplaires, le riche Musée de la photographie de Bièvres.

Il s'agit d'un instrument qui, encadrant bien et protégeant latéralement les deux yeux (comme quelque masque de soudeur ou cérémoniel) permet par contre ) chaque oeil de regarder droit devant lui, exclusivement, sans diverger ou converger de l'autre, parce qu'un long et large nez lamellaire empêche les deux organes visuels de focaliser et orienter ensemble leurs regards spécifiques sur un même objet ou champ d'observation.

Encore que ! Cette visionneuse a été conçue sous le Second Empire, pour au contraire percevoir une image stéréoscopique : une scène a donc au préalable été photographiée par deux appareils dont les objectifs, tels les deux yeux de l'opérateur, sont écartés de quelques 6,5 centimètres. Et les deux très voisins clichés obtenus sont mis ensuite à distance appropriée, en face de chacun des oculaires de la visionneuse, donc de chaque oeil correspondant, transmettant une image spécifique et unique au cerveau, lequel organe coordinateur intègre et superpose, en recréant la sensation du relief les deux photos regardées ensemble quoique séparément.

Sur le masque de Brooklyn, comme sur la dite visionneuse, le rôle du nez, écran affirmant une oeillère pour chaque oeil (du seul côté mitoyen où la convergence des deux yeux pourrait sinon créer vision en relief) y intervient dans un dessein inverse, puisque l'effet final est opposé pour chaque instrument : vue de deux secteurs contigus, sans relief dans le premier cas afin de dessiner au loin, mais dans le second cas pour engendrer cérébralement une vision stéréoscopique. Donc en tirant seulement parti, pour les deux masques, de la sectorisation visuelle que crée le plan et l'écran médian de l'appendice nasal hypertrophié. La similitude s'arrête là, la visionneuse mexicaine étant un accessoire moderne de la stéréoscopie photographique.

 
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