IV Eléments connexes
 

Centres linéaires ou étoilésA. F. Aveni, op. cité, est la seule source sûre et étoffée des paragraphes qui suivent, au niveau descriptif, puisque nos conclusions et déductions peuvent parfois différer. La description desdits centres par Aveni commence p. 151. Elle est reprise dans l'album du musée Rietberg par le même scientifique à partir de la page 134.

On a relevé jusqu'à présent 62 centres dits "linéaires" ou "étoilés", lesquels se schématisent physiquement comme des moyeux surélevés de roues où se branchent les rayons que tracent les géoglyphes à lignes simples ou aux formes géométriques, dont les côtés, les axes ou les appendices convergent aux dits lieux. A peu d'exceptions près les centres sont situés au sommet d'une éminence naturelle, ce qui leur permet d'être visibles à plusieurs kilomètres, par temps clair, de loin dans la pampa. Souvent le centre se situe dans un groupe de collines, la plus élevée étant choisie pour qu'en rayonnent la plupart des géoglyphes linéaires (n°30, 38, 44). Les centres n°14, 15, 16, 17, 27, 34, 36 et 38, selon Aveni, surveillent par exemple la rivière Nasca depuis son coteau nord, tandis que les centres n°43, 46, 56, 58 et 61 se dressent sur les escarpements élevés au dessus du coteau méridional de l'Ingenio. Il faut d'ailleurs remarquer que tous les centres linéaires (du n°62 à l'ouest au n°42 à l'est) qui sont situés sur les plus hautes falaises au sud de la rivière Ingenio sont implantés près d'affluents qui ne l'alimentent pas mais coulent vers la Nasca, 10 kilomètres environ au sud-ouest, sur l'autre versant de la pampa. Il n'y a pas de centres linéaires connus sur le coteau nord de l'Ingenio et il en est de même pour le sud de la Nasca dont le septentrional, par contre, et surtout face à la capitale Quawachi des anciens Précolombiens locaux, est très dense en géoglyphes.

Les centres sont aussi parfois implantés aux extrémités des péninsules montagneuses que la chaîne andine et son piedmont avancent sur la pampa (cas des n°11, 19, 30, 37, 42 et 44). Aveni remarque de plus que presque la moitié (46%) des géoglyphes linéaires qui irradient de ces collines se situent à plus ou moins 30° de l'axe de la péninsule montagneuse qui s'avance sur le terrain désertique. Autrement dit, si lesdites lignes rayonnaient au hasard depuis le sommet ou la base d'une colline donnée nous devrions nous attendre à en trouver seulement 8% comprises à l'intérieur d'un tel secteur angulaire. Ces résultats donnent donc l'impression que pour un centre typique l'implantation desdites lignes dépend d'un phénomène, d'un procédé ou d'une activité en relation et/ou tributaire de la situation générale de la pampa ; et pour un secteur qui est vu de la péninsule, ou vice versa.

Enfin, souvent, les lignes semblent ne rayonner qu'à partir de la base du tertre sur lequel est perché le centre, comme si le relief pentu était une gêne ou un obstacle à les prolonger directement au point sommital de focalisation.

En résumé le rayonnement des lignes vers les pieds de centres focalisateurs surélevés, implantés aux extrémités élevées de péninsules montagneuses avec vue directionnelle sur la pampa, converge avec une autre donnée, archéologique celle-là, pour corroborer le rôle technique des centres linéaires : il y a une corrélation entre eux et les vestiges d'activités humaines qui abondent tout autour puisque 85% desdits centres leurs sont associés. Certes la densité des géoglyphes linéaires étant forte autour de tels lieux de focalisation il paraît normal, corrélativement de trouver là semblable proportion pour les restes d'activité. Cependant, selon AveniIbid., The lines of Nazca. et Clarkson la quantité de vestiges céramiques croît par intermittence le long des lignes jusqu'à leur centre. Autrement dit, ces vases et pots utilitaires, nullement culinaires mais hydrophores, ont du jouer avec et par leur contenu, un rôle technique dans la mise en œuvre des dessins, car si ces récipients avaient servi pour la boisson, on ne comprend pas que les travailleurs aient été de moins en moins assoiffés plus la distance s'allongeait entre leurs étapes !

Donc lesdits récipients apparaissent étroitement associés à la proximité des centres linéaires, par une relation de cause à effet espaçant aussi leur présence sur les lignes en fonction de l'éloignement aux dits centres, comme si du sommet de chaque colline découlait une augmentation progressive des interdistances vers le lointain. Ce que produit par exemple la projection conique en perspective agrandissante de points pourtant équidistants, identiquement espacés et situés sur un motif projeté, quand le tableau de projection et celui du dit motif ne sont pas parallèles et perpendiculaires à l'axe du cône, c'est-à-dire quand ils altèrent cette régularité sur le dessin.

Mais si nombre de triangles, trapèzes et lignes tracées sur le sol de la pampa convergent vers ces centres de rassemblement linéaire élevés, qui paraissent nécessaires à leur tracés dans certains cas, cela n'explique pas nombre d'exceptions à une aussi simple relation.

Or un jalon terrestre (naturel ou artificiel), ou un relais, est toujours une aide dans les travaux publics, mais sans plus. Durant des siècles, dans la plaine Saint Denis, la flèche de la basilique dionysienne a servi de jalon pour des travaux de voirie, et même lors de la réalisation du canal du même nom l'ayant eu comme repère axial et d'alignement pour le tracer sur une partie de son linéaire.

Cela n'implique pas que le centre de visée ait été au lieu et à la place d'un tel jalon. C'est même à l'opposé de ce dernier que se situe l'endroit où l'œil de l'opérateur était alors situé.

Le jalon ou le relais reste donc un outil utile, parmi d'autres, sans plus.

Si nombre de centres, par l'implantation rayonnante de géoglyphes géométriques s'arrêtant au pied de leur éminence, suggèrent qu'ils furent l'une des données indispensables pour engendrer lesdits dessins, d'autres centres apparaissent comme barrés, chevauchés par quelque large figure géométrique. Dans un tel cas un géoglyphe franchit et oblitère la colline, malgré son relief, comme si de rien n'était. Un fait qu'il faut donc entériner et inclure dans la réflexion sur les procédés de traçage des dessins. On peut remarquer d'ailleurs qu'il se trouve, tel le centre n°30, des exemples de collines ou éminences avec quelques lignes en rayonnant, mais sites étant en même temps d'abord porteurs d'une fraction d'un grand géoglyphe géométrique, parfois complexe, virant ou se fragmentant à partir du sommet de ladite élévation en plusieurs éléments issus d'abord du motif principal, plutôt que par dépendance exclusive du relief rencontré.

Ainsi le centre n°30 consiste en une colline naturelle d'environ 75X100m, à 15m au dessus du niveau de la pampa, par lui dominée à partir d'un plateau dont l'axe approximatif est implanté du nord-ouest ou sud-est. Cet événement orogénique termine, le plus au sud-ouest, une série d'autres éminences, descendant depuis le Cerro Puton de los Chivatos sur le désert : dix géoglyphes géométriques, essentiellement linéaires, émanent de ce sommet terminal vers la même zone dégagée de la pampa. Et leur plus spectaculaire composant est le contour n°1, un triangle de 430m de long, qui mesure 48m à sa base et se rétrécit au faîte de la colline sur laquelle il grimpe, sans grande déformation, pour qu'ensuite il s'appointe encore sur le plateau où, à son extrémité sinon apex, s'enchaînent, mais en se fractionnant, par plongée vers et sur la pampa, d'autres lanières et lignes étroites se poursuivant en direction opposée.

Ainsi, selon AveniIbid., première partie, texte et relevés. la ligne n°8 s'allongerait sur 4.3 km en reliant le centre linéaire n°35 audit centre n°30, où elle ressemble alors à une sorte d'avenue ou d'amenée en entonnoir, qui s'effile de 13m de largeur au sommet du plateau à 12m à la base de la colline, et qui se réduit encore, 200m plus en avant sur le désert. Le dessin au sol se fait par un trait de 5.9m d'épaisseur. Le fort relief de la colline semble avoir là comme affecté le tracé et la forme du motif, encore qu'ensuite, sur la pampa plus plane et bien moins pentue, ou malgré les quelques rencontres accidentelles des quebradas, cette ligne maintient une largeur constante d'environ 5m, plus ou moins ½ m tout le long, jusqu'au centre n°35. Peu ou prou parallèle à la rivière Nasca, plus méridionale, le géoglyphe suit un peu en diagonale la trame grosso modo orthogonale des plus grandes pentes de ladite rivière et de ses affluents perpendiculaires.

Toujours selon Aveni, la ligne n°6 s'échappe de même du trapèze par un triangle effilé, dans le secteur nord-est de la colline et file ensuite sur une largeur maintenue à 3m, durant 6.5km de longueur jusqu'au centre n°36 en chevauchant collines basses ou quebradas. La ligne n°2 s'éloigne de même du trapèze générateur par un triangle effilé, porté par le flanc pentu nord-est de la colline. Tenant une largeur d'un quart de mètre sur 2 km ¾, elle s'arrête à l'apex d'un grand géoglyphe triangulaire.

A l'inverse de ces lignes n°2, 6, 8 qui, depuis le grand trapèze dont elles sont issues, continuent de cheminer sur la pampa, les lignes n°3, 4, 5 et 7 quittent seulement la base de la colline pour filer, sur 30 à 50m, avant de s'interrompre brutalement à des quebradas.

Il y a donc deux types de lignes : celles qui semblent avoir été conçues, comme en d'autres centres étoilés, à partir, ici, du centre n°30 et qui forment le groupe des lignes courtes, sans lien de filiation avec le grand complexe du trapèze fragmenté dans les lignes de l'autre groupe ou nature ; ces dernières sont elles des lignes longues, et accrochées à flanc de coteau par des triangles de raccord. Ce complexe semble comme une immense projection oblitérant le site et pourrait avoir été engendré à partir d'un centre plus élevé et dominant que sa propre colline, en amont du relief environnant, par exemple jusqu'au secteur du proche centre n°29.

L'apparente complication que suggère le relief du centre n°30 pour l'imprimer d'un tel ensemble débordant fut peut-être, en réalité, un commodité topographique, recherchée et retenue pour mieux voir et commander la réalisation de tels tracés, le dit centre étant alors en quelque sorte un plus bas et utile relais par sa position et hauteur relative au regard du véritable et plus élevé centre générateur. Et sans exclure que le centre n°30 ait pu jouer aussi le rôle d'un centre de projection secondaire.

D'autre part il faut bien s'entendre sur le caractère "rayonnant" d'un géoglyphe. Celui qui part du pied d'une colline a des chances effectivement d'en émaner, mais un triangle qui la chevauche entièrement ne peut être, où que soient sa base et son apex, considéré comme créant un site rayonnant ou étoilé.

Pour ce cas de figure, le centre n°30, on peut remarquer que loin d'être rectilignes les lisières de différentes lanières sont déversées par les données altimétriques de la colline, comme nous l'avons expliqué graphiquement (fig. 18) quand un plan visuel de projection ne sectionne pas perpendiculairement son tableau, mais de biais : un phénomène quasi général avec la plupart des génératrices du cône de projection circonscrivant l'objet à projeter. En d'autres termes tout ou partie de l'éminence du centre linéaire n°30 se trouve dans ledit cône de projection, qui la domine, comme survole, et à l'impact imprime de l'image, projetée selon des règles géométriques incontournables. Ce qui entraîne que le centre de visée soit ailleurs, plus loin et plus haut.

Bien évidemment un centre linéaire, d'où partent rayonnant et allant en s'élargissant au fur et à mesure qu'ils s'en éloignent des géoglyphes géométriques (lignes ou aires), a les réels caractères d'un centre de projection et peut en être un. Cependant toute figure tracée sur son éminence et la marquant en son sommet, implique aussi un centre de projection plus en altitude. Mais à force de canaliser la réflexion et la recherche au ras des cailloux, au niveau des mégafresques, en faisant de ces dernières les lieux aléatoires de processions et manifestations y concentrant les foules et leurs activités on n'a pu, faute d'une conception synthétique du phénomène archéologique rencontré, mobiliser les énergies à trouver les sites un peu dominants et aptes à de telles projections. Et l'on peut sans doute prévoir de futures découvertes à ces endroits là, encore inconnus et inexplorés.

Il ne suffit pas d'avoir rejeté, argumentation statistique à l'appui, les sites géodésiques sur lesquels de bons observateurs comme Reiche ou Reinhard ont soutenu que des géoglyphes avaient été impérieusement ou religieusement orientés. Bien évidemment le systématisme avec lequel, par exemple Maria Reiche a voulu diriger les moindres lignes anodines du complexe "triangle plante radiculaire" vers des points à peine singuliers de l'horizon andin n'a pu convaincre des scientifiques scrupuleux et tatillons. Mais il n'empêche que les lignes de force, la trame du tracé des parallèles oriente vers ce côté là de l'horizon et qu'il peut se trouver en aval ou en amont, quelque centre de visée plus proche du motif graphique. De même l'oiseau serpent ne pointe sans doute pas son bec vers le lever solsticial du soleil derrière quelque cime andine, mais c'est peut-être sur le piedmont rapproché du massif, et dans la même direction, qu'un centre de visée a permis d'engendrer le dessin dudit volatile… s'il ne fut pas conçu à partir de l'azimut diamétralement opposé ! D'où l'importance, pour en débattre, d'avoir un fin relevé des plus minimes déformations angulaires ou tailles du trait qui trace le géoglyphe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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