IV Eléments connexes (suite)
 

Les céramiques associées

La plupart des céramiques trouvées sur la pampa l'on été à proximité ou sur les géoglyphes, c'est-à-dire parfois sur les lignes, à leur croisement ou fin, et en quantité de plus en plus dense en approchant des centres linéaires. Hormis la fine poterie polychrome la plupart des céramiques sont simples, décorées au minimum. Elles ont alors des parois épaisses, robustes, des anses et des goulots resserrés pour les récipients porteurs et verseurs. Elles paraissent avoir été seulement hydrophores car aucune trace de cuisine n'a été repérée sur la multitude des tessons étudiés. Comme le souligne ClarksonClarkson, op. cité, in The lines of Nazca, 1990, dont l'étude suit celle de A.F. Aveni., p. 159. "la taille et les caractéristiques des poteries suggèrent qu'elle furent conçues pour l'emmagasinage d'eau" ; mais les goulots étroits excluent un stockage de grande capacité ou la recherche d'une évaporation pour refroidir le liquide, car ils ont surtout un rôle distributeur, évitant le gaspillage dans le remplissage de nombreux gobelets, coupes et plats qui furent utilisés.

Leur style, fixant l'âge des céramiques, permet un utile, quoique relatif recoupement pour situer dans le temps les différents géoglyphes qui ne peuvent que leur être contemporains dans l'écrasante majorité des cas. Selon Clarkson un quart des tessons retrouvés dans les parages de la Nasca appartiennent par exemple aux productions de la période EIP (-250 à +500) et il pourrait être signifiant que 8 centres linéaires (soit 13%)Ibid., p. 140. aient été identifiés avec de tels tessons : 7 sont situés à moins d'un kilomètre de la rivière Nasca, à l'exception du centre n°48, qui en est à 3.5km. De plus il y a aussi 6 sites (voir Robinson) avec des composants EIP situés à proximité (dans un rayon de 2km) desdits 7 centres. Mais l'absence absolue de mêmes tessons nascas dans le reste des centres, dont la plupart sont aussi davantage éloignés de la même rivière, suggère que le matériel EIP de la première série de centres linéaires pourrait ne pas impliquer ces derniers dans la mise en œuvre des géoglyphes (mais dans quel but alors ?). Clarkson propose plutôt que la réalisation des dessins linéaires se soit faite progressivement, d'abord aux environs de Nasca et de sa rivière, avant de progresser ensuite plus loin au nord dans la pampa. Dans la mesure où de nombreux centres de visée restent à découvrir, les corrélations des seuls centres linéaires avec les céramiques rendent perfectibles les actuelles prises en compte statistiques.

Par ailleurs, sur le sol désertique, c'est au niveau des géoglyphes figuratifs que G.S. Hawkins a trouvé les plus forts pourcentages de poterie nasca EIP, des phases 3 et 4, à l'apogée polychrome. Il apparaît donc comme une sorte de cohérence dans la répartition et la nature des trouvailles céramiques relativement aux géoglyphes dont les plus beaux dessins, mais en nombre limité, sont les figuratifs, plus denses près de la rivière Ingenio que de la Nasca. Or ils sont associés à des tessons qui, indépendamment d'une incertitude sur les décomptes statistiques, montrent une semblable exaltation de la qualité, c'est-à-dire celle qu'ont des récipients et des vaisselles ornés des mêmes motifs animaux, en particulier d'oiseaux, ou de botaniques, aux surs tracés et colorisEn d'autres termes on peut faire l'hypothèse que la fine poterie polychrome nasca pourrait indiquer une sorte d'activité de nature qualitative en relation avec les géoglyphes naturalistes, nature qui n'existe pas pour les géométriques liés seulement à une poterie vulgaire à paroi épaisse.. Par contre la majorité des céramiques associées aux géoglyphes linéaires ne daterait pas de la période EIP mais des postérieures, essentiellement LIP et aussi MH et LH, bref de 500 à 1500 de notre ère. On peut en conclure que la relative différence entre géoglyphes figuratifs et géoglyphes linéaires, corroborée en partie par leur poterie associée, ne semble pas que stylistique ou thématique, mais aussi reflète une succession chronologique qui n'exclut pas prototypes et lente maturationP. Clarkson, op. cité, p. 169 reconnaît exception à l'association tesson EIP - géoglyphes figuratifs, puisqu'il a trouvé de tels dessins figuratifs associés seulement avec des céramiques LIP., ni l'utilisation sélective ou progressive de la pampa. De plus, il est nécessaire de distinguer les grandes figures géométriques des cèques et lignes seulement directionnelles qui ne sont pas à ranger dans un même fourre-tout. Pour Persis Clarkson, l'étude des poteries trouvées à l'emplacement des larges tracés les situerait autour de 900 après J.-C. par exemple… Mais il n'a pas fouillé la zone proche de l'Ingenio où, selon les études de G.S. Hawkins et les déterminations de J. Rowe et Dorothy Menzel, les géoglyphes si typés sont associés à la céramique nasca EIP entre les phases 2 et 8 (et surtout entre 3 et 4)Ibid., p. 166-167., de sorte qu'elles correspondent à presque tous les styles sans que nous sachions si un tri a diversifié les dessins naturalistes, linéaires et géométriques dans les affiliations entre figures et tessons.

Le constat des corrélations chronologiques (qui sont d'ailleurs encore en discussion) laisse pendant le pourquoi de cette céramique hydrophore. G.S. Hawkins a souligné que les huaqueros lui ont montré des pots nascas entiers aux intersections et fins de lignes, c'est-à-dire en des emplacements cruciaux du tracé. Un groupe de tessons nascas EIP a de même été trouvé dans la bouche d'un géoglyphe de baleineIbid., p. 166.. Pure association symbolique ?

Certes on a fait à juste titre remarquer que l'alimentation en eau de boisson des hommes ayant réalisé les géoglyphes sur des centaines d'hectares et durant quelques siècles impliquait très normalement, et sans plus, des résidus matériels abandonnés sur tout chantier. Mais les faits curieux notés ci-dessus autorisent l'hypothèse d'une possible utilisation de l'eau à des fins techniques pour réaliser les géoglyphes - les plus fins, beaux et complexes notamment. Il est possible (mais non prouvé) que les coupes à eau aient pu jouer, pleines de liquide, le rôle d'un miroir de réflexion du ciel clair et/ou ensoleillé, ce qui permettait par vision ou occultation de leur tache lumineuse, très à l'arrière du bijou à projeter, le repérage de la projection de son filigrane et le suivi du tracé de l'image. Il se peut aussi que déverser l'eau par touches et flaquettes successives sur le sol sableux décapé, en changeant la réflexion lumineuse et la teinte de ce dernier au droit de chaque impact de liquide, ait constitué un semis aussi pratique que celui par cailloux du Petit Poucet ! Diverses hypothèses et expériences seraient à faire in situ afin de vérifier dans quelle mesure un apport d'eau par petits déversements ou contenants par actes successifs, échelonnés, ou pour tout autre procédé nécessitant l'eau, a été techniquement utile ou non. On ne peut enfin oublier que l'eau, comme dans toute métallurgie, est un élément indispensable au travail du métal, donc à celui de l'orfèvre pour des bijoux filigraniques. Mais l'exégèse est reine quand manquent les preuves d'une déduction plus scientifique !

 

 

 

 

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