V De la langue à l'art avant l'écrit (suite)
 

Masques cérémoniels ? Mais pour quelles cérémonies ?

Le même travail de guidage suggéré par le masque de Brooklyn pouvait être effectué par un plus utilitaire sans décor, moins fragile et sophistiqué. Car la haute qualité artistique dudit masque l'accrédite nécessairement d'une fonction plus cérémonielle. Il s'oppose - presque dialectiquement - à celui possédé par le Musée de Toussaint à SchaffouseReproduction n°25, p. 218 dans l'album précité sur Nasca, du Rietberg Museum. : ce faciès-là ne sourit pas, car sa bouche a l'arc amer et tombant d'où s'échappe une langue morbide ou assoiffée. Il ne peut ni parler ni voir, au mieux bougonner et trébucher car ses lèvres et ses paupières sont closes par des liens ou bandelettes les empêchant de s'ouvrir.

Au sommet du masque une excroissance, comme sur le masque de Brooklyn, répète une petite tête homothétique qui, itérative ou/et tautologique, affirme le thème iconographique. Les petits bras et mains nues du corps gravés au dessous explicitent l'inefficacité de cet être sans ressort ni organes sensitifs ou expressifs en état de fonctionner correctement. Les deux trous presque sténopéiques que ménagent les paupières, entrouvertes mais bridées, permettent seulement, peut-être, une vision du lointain avec acuité. Rien de vraiment fameux. On comprend que quatre grosses commères, diamétralement en vis à vis sur la périphérie du masque, y ajoutent leurs faces rieuses, au vu de cette tête sans brio, ni possibilité, en faisant cercle autour. Les pieds un peu écartés et gravés en dessous de leurs figures donnent à leur masse corporelle un bon polygone d'assise pour spectatrices. A voir les deux masques si contradictoires on se croirait en face de deux personnages antithétiques du folklore français (Jean qui rit et Jean qui pleure), d'allégoriques personnifications de la réussite joyeuse et de l'échec lamentable, de l'extraversion et de l'introversion, du centrifuge et du centripète. Le côté allégorique des deux masques est donc vraisemblable. Pour celui de Brooklyn l'expressionnisme du langage artistique permet d'insister sur la valeur instrumentale et technique, intervenant dans une scénographie pour public et fidèles ad hoc, ou/et pour les subjuguer par ce rappel embelli. Car couteaux, haches et outils très ornementés, à haute qualité et enrichissement esthétiques, exaltent ainsi leur utilisé et valeur symbolique pour leurs porteurs ou attributaires.

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