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1
S'en est fait l'esprit divin
Vient s'emparer de mon âme.
Je sens naître dans mon sein
Une merveilleuse flamme.
Mon cœur en est consolé
Qu'un seul dieu me plaise mes charmes
Tant que je le possédrai
Je ne tarirai point mes larmes.
2
Non le plaisir de la cour
Ne saurait me satisfaire.
Un si aimable séjour
Ne saurait à mon cœur plaire.
Les biens de l'éternité
De mes pensées sont les délices,
Mais comme un cerf altéré
Qui court aux eaux de la justice.
3
A quoi sert ce grand cela
D'une vaine créature
Qui du séjour au trépas
Devient les verts de la parure.
Les rois et les empereurs
Ne risquent hélas que sur la terre,
Mais devant leur créateur
Ne sont que cendres et poussières.
4
Nous voyons le conquérant,
Ces César, ces Alexandre
Dans un affreux monument,
En pourriture et en cendres,
Et les biens pour incertains
Que le bonheur est manifeste
C'est aspirer au vrai bien
Et abandonner les terrestres.
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5
Nous avons trois ennemis :
J'entends la chair et le monde
Qui nous combattra à l'envie.
Leur fureur est sans seconde,
Mais pour me mettre à l'abri
De leurs insolentes poursuites
Au couvent de Saint-Denis
Je veux me rendre carmélite.
6
Aujourd'hui toute chargée d'or
Et de pierres précieuses,
Demain être au rang des morts,
Abandonnée et affreuse,
Retombée dans le néant !
Sans nul égard à la noblesse :
Elle prouve constamment
Notre orgueil et notre faiblesse.
7
Ouvrez mes chères sœurs, ouvrez
La porte du monastère.
Je veux rester renfermée
Courant ma vie tout entière
Je suis venue en secret
Sans la vue de mon cher père
Mais il a tant de bonté
Qu'il saura ma vie austère.
8
Je ne veux pas parmi vous
Ouvrir la préférence
Mais partageons entre nous
Le jeûne et la pénitence.
Allez, partez, écriez,
Dites au Roi avec révérence
Que vous avez vu cloîtrer
Madame Louise de France.
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Des reproches, mais avec
révérence
La fille cadette de Louis XV, Louise-Marie de
France (Versailles, 1737 - Saint-Denis, 1787), entra au couvent dionysien
des carmélites en 1770 après que la mort du grand Dauphin (1765) et de
la reine sa mère (1768) aient été suivies par l'apparition, en 1768 même,
d'une nouvelle favorite du roi qui marque l'ultime tournant du règne.
Dans
une tardive réaction autoritaire, Louis XV, appuyé par la Du Barry, les
philosophes et même les dévots contre le Parlement, réussit, par un triumvirat
ministériel, à consolider l'Ancien régime dès 1772.
Louise de France, très pieuse, a maintes raisons
pour vouloir, ainsi, se démarquer de la conduite paternelle. Son entrée
soudaine au Carmel de Saint-Denis fera sensation. C'est dans cet édifice,
talentueusement restauré en musée local d'histoire, que l'on peut voir
son austère cellule et les sentences édifiantes qui ponctuaient en seul
décor murs et cloisons du couvent (1). Encore que la princesse, comme
ses sœurs, avait déjà connu résidence monacale, à l'abbaye de Fontevrault
où, sous l'égide d'une abbesse, avait été éduquées les filles de Louis
XV.
Louise de France était intelligente et exerça
une certaine influence sur son royal père jusqu'à ce qu'il meure de la petite
vérole en 1774. Après, elle resta en liaison avec le parti dévot. Déclarée
vénérable en 1873, son accès à la béatification est à l'étude.
Les trois derniers vers du premier couplet peuvent
sembler alambiqués si, après le rejet d'une vie trop charnelle dans les précédents,
on oublie la nécessité de la métrique ou de la versification. Il faut les
traduire, dans une autre forme plus explicite, sur l'antithèse et abominable
éventualité :
" Qu'un seul séducteur surhumain m'embobine mes appas
physiques
Tant que je les posséderai
Je ne tarirai point mes larmes ".
De
même " les vers de la parure " sont une expression proverbiale et ironique,
citée dans le Nouveau dictionnaire de l'Académie française, édition
de 1718 (t. II), puisqu'on dit faire des vers à la louange de quelqu'un,
mais en réalité pour en médire. Vers de la parure équivaut, dans la
chanson, à la susdite expression, mais pour y rimer avec créature deux
vers plus haut dans le même troisième couplet.
Malgré
notre méconnaissance du timbre supportant ces paroles tragiques, il faut remarquer
et proposer l'air du Compliment à mesdames de France, chanson faite
au mois de juillet 1761, au passage de mesdames Adélaïde et Victoire de France
à la Ferté-sous-Jouarre, lesquelles allaient aux eaux de Plombières, et voir
en même temps le roi Stanislas leur aïeul à Nancy. Il est question dans le
quatrième couplet de cette pièce des deux autres petites sœurs que sont encore
mesdames Sophie et Louise de France. Et surtout la trame métrique est la même.
Le Chansonnier françois donne comme timbre porteur celui de Ton
humeur est, Catherine, ou les airs n° 34 et 119 du tome IX.
L'air de Ton humeur est, Catherine convient le
mieux. Ses paroles, qui sont des reproches à une jeune fille rigide et
revêche à toute approche amoureuse, justifient aussi le choix du vaudeville
pour chanter le vœu de Louise de France. Et le timbre, qu'on trouve dans
Ballard en 1715 a déjà servi de Vaudeville pour textes religieux, notamment
L'hymne du matin (2).
(Partition proposée ici à partir d'un vaudeville, " Reproches
villageois ", ayant déjà servi pour un " Compliment à mesdames de France
". L'appellation de madame remonte à l'époque de l'amour courtois.
Ce fut le titre particulier, à la cour des Bourbons, à dater du XVIIème
siècle, de toutes les filles du roi et du dauphin. Elles ajoutèrent "
Madame " à leur nom de baptême. La femme de Monsieur, frère du roi, portait
le titre sans adjonction de nom propre, de même que la fille aînée du
ro)i.
(1) Etudiées et publiées par J. Rollin, critique d'art
et dynamique premier conservateur du musée du Carmel auquel la restauration
doit beaucoup. Voir bibliographie en fin de volume.
(2) Chant 165, Nouveaux cantiques spirituels avec des parodies, 5ème
partie, chez J.-B. Garnier, imprimeur de la reine, 1750.
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Air: Ton humeur eft, Catherine
ou (n° 34) (119)
MESDAMOISELLES DE FRANCE,
J'ofons vous faire la Cour,
Vous préfenter encadence
Nos refpects & notre amour:
Ah ! que vous êtes gentilles !
Que vous avez l'air courtois !
L'on voit que vous êtes Filles
Du meilleur de tous les Rois.
SI je difons qu'on vous aime,
N'en prenez point de fouci,
J'ofons le dire à Dieu même
Comme à votre Pere auffi :
De nos cœurs le pur hommage
Leur agrée à tous les deux ;
J'efpérons même avantage
De vous, tout ainfi que d'eux.
LE monde dit qu'à Plombière
Vous allez boire des Eaux ;
C'eft une pauvre ouvriere
Que l'Eau pour guérir les maux :
Tenez … le moindre ordinaire
Du vin de notre canton
Eft cent fois plus falutaire
Que ces Eaux de grand renom.
JE comptions vous faire offrande
De nos plus fameux flacons ;
Mais le bel air nous commande
De vous donner des bonbons :
Douze boëtes à chacune
Feront au mieux nos honneurs ;
Au moins, gardez-en quelqu'unes
Pour vos deux petites Sœurs.
PUISQUE c'eft auffi l'ufage,
J'apportons le paff' par tout,
Les clefs de notre Village
Tout ouvert de bout en bout ;
Pour vous je les ons fait braves
En rubans & falbalas ;
Ce font les clefs de nos caves,
Foin, ne les emportez pas.
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CAR ce foir dans nos familles
Je voulons boire à LOUIS,
Sa Femme, fa Brue, fes Filles,
Son Fils & fes Petits Fils :
Que de malheur Dieu préferve
Tant de fi honnêtes gens!
Que long jours il leur conferve,
Pour nous rendre heureux long-
[tems !
MESDEMOISELLES DE FRANCE,
Pardon, fi j'en ons tant dit ;
C'eft qu'on a bonne éloquence,
Lorfque le cœur y fournit :
Vous aurez dans le voyage
De plus fubtils compliments ;
Le nôtre aura l'avantage
Des vrais & purs fentiments.
FAIT à la Ferté fous Jouarre,
Par Monfieur notre Pafteur,
Homme d'un mérite rare,
Car il fçait lire par cœur ;
En quoi fur-tout il excelle,
C'eft en amour pour fon roi.
Je le prenons pour modele,
son exemple eft notre loi.
REPROCHE VILLAGEOIS (N° 44)
TON humeur eft, Catherine,
Plus aigre qu'un citron vert,
On ne fçait qui te chagrine
Ni qui gagne, ni qui perd.
Qu'on foit fage, ou qu'on badine,
Avec toi c'eft choux pour choux ;
comme un vrai fagot d'épine,
Tu piques par tous les bouts.
SI je parle, tu t'offenses ;
Tu grognes ; fi je me tais.
Lorfque je me plains, tu danfes ;
Quand je ris, je te deplais.
A ton oreille mal faite
Mes chanfons ne valent rien,
Et ma tant douce mufette
N'eft qu'un inftrument de chien.
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CEPENDANT quoi que tu dife,
Je ne puis quitter ces lieux ;
Et quoique tu me méprife,
Par-tout je fuivrai tes yeux :
Je m'en veux mal à moi-même ;
Mais quand on eft amoureux,
Un cheveu de ce qu'on aime
Tire plus que quatre bœufs.
D'UN pot plein de marjolaine
Quand je te fis un préfent ;
Auffitôt pour fon étrenne,
Tu le caffis, moi préfent.
Si j'avois cru mon courage,
Après ce biau ran-merci,
Ma main, qui bouilloit de rage,
T'eût caffé la gueule auffi.
L'AUTRE jour d'un air honnête,
Quand je t'otis mon chapeau,
Plus vite qu'une arbalefte,
Tu le fis fauter dans l'eau ;
Et puis d'un ton d'arrogance,
Sans dire ni qui, ni quoi,
Tu me baillis l'ordonnance,
De m'approcher de toi.
CHACUNE de tes deux joues
Ressemblent aux pommes d'apis,
Comme deux morceaux de roues
Sont tout à point tes foucis.
Tes yeux plus noirs que des merles
Semblent mouches dans du lait
Et des dents en rang de perles
sont plus blanches que du lait.
POUR ta bouche elle eft plus rouge
Que n'eft la crête d'un coq,
Et ta gorge qui ne bouge,
Paraît plus ferme qu'un roc.
Quant au refte il m'en faut taire,
Car je ne l'ai jamais vû,
Mais je crois que tu dois faire,
Sans chemife un beau corps nud.
PAR la morgué ! c'eft domage
Que tant de belles beautés,
Ne me foient, pour tout partage,
Qu'un fac plein de dureté.
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