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L'ABUS SUR UNE ENDORMIE


1

Un berger se vante à l'amour
Que sa bergère était(1) fort gentille
Il l'a trouvée c'était un jour
Endormie sur l'herbe fleurie.
Parbleu dit-il, réveillons la
Pour voir un peu, pour voir un peu
Comment tout cela se fera (bis).

2

J'aperçus sous son mouchoir de soie
Deux boutons de rose vermeille
J'ai mis la main sur ce rosier
Croyant de(2) faire épanouir la rose
Parbleu dit-il, réveillons la
Pour voir un peu, pour voir un peu,
Comment tout cela se fera (bis).


(1) Sans doute erratum : le verbe n'ajoute rien à la syntaxe et allonge en syllabes le vers par rapport à ses homologues d'autres strophes.

3

Après avoir touché cet endroit
Faisons dit-il autre chose
Usons pour l'éveiller enfin
Des biens que l'amour nous propose
De cette épine piquons là
Pour voir un peu, pour voir un peu
Comment tout cela se fera (bis).

4

Mon beau berger tu n'y penses pas
De me surprendre ici à l'ombrage.
Tu serais mort entre mes bras
Si je n'aurais pas pris mon courage.
Un autre fois tu me préviendras
Quand tu voudras, quand tu pourras
Me faire cela, me faire cela.


(2) de peut être inutile ou excédentaire.

Il y a anguille sous roche

Une gaillardise, telle cette chanson sur le timbre de Philis demande son portrait, du chanteur et compositeur Albanèse (1729-1800), qui titre un texte de Voltaire, comme elle pourrait aussi caractériser le présent du manuscrit Berssous ! Car l'image, la métaphore, les sous-entendus pris dans le registre apparemment anodin de la botanique, de la morphologie des formes de la nature permirent à une société élégante et raffinée, en jouant sur la double signification des mots, que le galant et le précieux s'arrêtent juste avant la frontière du grivois, sans trop franchir les bornes de la bienséance. Cela explique que des chansons de ce type, caractéristique du XVIIIème siècle, comme Au clair de la lune ou Il pleut, il pleut bergère, quand on en ignore les personnages et toutes les strophes(1), ou l'autre sens érotique de certaines de leurs expressions, soient reléguées aujourd'hui dans le chansonnier pour maternelles, parents et enseignants inavertis ayant sur elles la même innocence que les bambins…

Thème musical du refrain, cliquez pour écouter

C'est le refrain qui, comme souvent dans le type de chanson en comportant, permet de situer, résumer ou titrer plus commodément et populairement que l'incipit, le sujet et/ou la mélodie qui constituent la pièce. La présente chanson devait être en effet plus connue et repérable par son refrain puisque Charles Simon Favart avait repris l'air de Pour voir un peu comment ça s'ra, c'est-à-dire quasi le dernier vers des trois premières strophes reproduites dans le manuscrit Berssous, pour des paroles proférées et chantées par une prêtresse, dans les Nymphes de Diane(2). Cet opéra-comique représenté à la Foire Saint-Laurent, le 22 septembre 1755 par ledit Favart avait été représenté pour la première fois le 1er juin 1747 sur le grand théâtre de Bruxelles par sa troupe théâtrale, celle des comédiens de SAS Monseigneur le comte de Saxe, Maréchal général des Camps et Armées du Roy et Commandant général des Pays-Bas. On trouve dans un recueil à ses armes comportant cette œuvre l'air, ayant le n°16 de la scène III, qui accompagne les paroles d'un dialogue tout de curiosité érotique entre Séverine et Thémis (déesse impartiale et aux yeux bandés de la Justice) sur la nature de l'acte amoureux :

Séverine :
Il faut le craindre, il faut le faire
Sans désirer de le connaître

Thémis :
Comment pouvoir s'en garantir
En ignorant ce qu'il peut être
Car il faut bien, pour cet effet
Sçavoir du moins comme il est fait.

Boucher (1703-1770), Diane sortant du bain, salon de 1742, musée du Louvre (photo Réunion des Musées Nationaux)

Dans la mouvance du Maréchal de Saxe, de son régiment de Courten chanté par le reucil Berssous, cette autre chanson 39 n'y a peut-être pas figuré par hasard, d'autant que celle des Nymphes de Diane a la même structure rimée : MFMFMMM

(1) Rappelons que dans Au clair de la lune, Pierrot est amoureux transi et platonique tandis qu'Arlequin a la bonne fortune d'être aimé de Colombine. L'expression battre le briquet y signifie, au sens second, faire l'amour. Dans la dernière strophe la porte se referme sur un logis, car la scène n'a pas même besoin que Pierrot en ait chandelle pour l'éclairer… ou clair de lune pour l'entrevoir !
(2) Voir p. 12, volume IV, du reprint Slatkine (cité en Bib. gén. du Théâtre de M. et Mme Favart). Mais Favart avait déjà utilisé le timbre dans la Servante justifiée, représentée pour la première fois sur le théâtre de l'Opéra-Comique, le 19 mars 1740. Dans le même reprint, volume III, en scène V, p. 14. Dito dans la Chercheuse d'esprit (en 1741, vol. III, scène XVII, p. 54 et dans Acajou.

(suivante)