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LE SOLDAT QUI TROUVE SA MIE MORTE


1

Ils étions trois soldats
S'en allaient à la guerre,
S'en allaient à la guerre
Sans pouvoir l'éviter.
Et leurs chères maîtresses
Ne faisaient que pleurer.

2

Le plus jeune des trois
Regrettait bien la sienne,
Regrettait bien la sienne.
Puisqu'il faut la quitter,
Puisqu'il faut la quitter
Dans le bois de merveilles
Fut la reconsoler.

3

Quand ils furent au Piémont
Prêts à monter la garde :
"Bonjour mon capitaine,
Donnez-moi un congé
Pour aller voir ma maîtresse,
Celle que j'ai tant aimé".

4

Le capitaine répond,
Comme un brave gendarme :
"Voilà la carte blanche
Et un joli passeport.
Va t'en voir ta maîtresse
Et reviens tout d'abord".

5

Quand il fut au pays
Demande à voir la belle.
"Va ta maîtresse est morte
Et enterrée aussi.
Son corps est sous la terre
Son âme au paradis".

6

Battez, battez tambours,
Sonnez, sonnez trompettes,
Sonnez, sonnez trompettes,
Puisque ma maîtresse est morte
Je retourne au régiment.

7

Que maudit soit l'amour
Que bénie soit la guerre,
Que bénie soit la guerre
Et celui qui la fait.
Tout le temps de ma vie
Je la regretterai.

Une chanson dramatique et belle

Trouver cette chanson dans le recueil Berssous montre son intérêt puisque les variantes données par Tiersot ou Servettaz, avec des strophes en plus ou en moins, sont recoupées par cette version du 18ème. Les lieux dits où les deux collecteurs ont relevé leurs exemples (Bessans, Sallanches, Torgon, Meylan, Grand-Bornand, Abondance, Châtel, Boëge) les authentifient déjà comme savoyardes. La présente version, par la mention du Piémont, confirme au moins l'adaptation d'une chanson passe-partout à deux régions alpestres mitoyennes et relevant alors de la même monarchie. La carte blanche et le passeport dont il est question dans la strophe suivante impliquent la nécessité de tels documents administratifs pour des pays montagnards et frontaliers où les pérégrinations font passer d'un état à l'autre. C'est bien la configuration d'une zone où s'enchevêtrent terres françaises, helvétiques et sardes.

Tiersot a souligné le caractère poétique et délicat de certaines strophes, notamment les dernières qu'il croyait étrangères à la chanson. La version du Chansonnier Berssous montre qu'il n'en est rien, et insiste bien sur la cruauté de la guerre, séparant amants, le dernier qui reste comptant sur elle pour en finir d'une existence gâchée.

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Le capitaine de la chanson apparaît comme le chef de l'unité de base dans l'infanterie comme dans la cavalerie dont les "chasseurs" évoqués font partie. Il fallut attendre la réforme de Choiseul en 1762 pour que le roi prenne à son compte le recrutement et l'entretien des compagnies : le brevet de capitaine cessa dès lors d'être un titre de propriété pour devenir exclusivement un grade de militaire compétent. L'officier décrit ici est humain, compréhensif, mais obéi.

"Comme un brave gendarme" écrit le parolier. Dans la langue classique la qualification s'applique à un homme de guerre monté : définition générale à retenir plutôt qu'à appliquer à un sous-officier de la maréchaussée ou à un gentilhomme de la garde ordinaire du roi, alors son capitaine.

Et le jeune amant, traité de "beau dragon", parce que doté d'une haute stature de cavalier, oriente sans doute vers ce type de soldats, combattant à pied et se déplaçant à cheval. Ils prirent rang dans l'infanterie en1668 à travers douze corps où les premières familles de France se firent la gloire de servir.

Par ailleurs la qualification plus courante de "chasseur" pour les différentes variantes de notre chanson renvoie aux premiers chasseurs qui, en France, furent ceux de Fischer (voir chanson 66) en 1743, et dont le corps, composé de fantassins et cavaliers a donné naissance aux chasseurs à pieds et aux chasseurs à cheval.

Les premiers escadrons de chasseurs à cheval furent formés en 1757. Dès 1760 le maréchal de Broglie créa dans les régiments une compagnie de chasseurs, formés de soldats alertes et bon tireurs, employés comme éclaireurs selon l'usage prussien. En 1775 il existait des chasseurs dans chaque compagnie, qui portaient des épaulettes vertes et un cor de chasse au reversde leur habit. En1776 chaque régiment de dragons reçut un escadron de chasseurs pour le service d'éclaireurs, mais en 1779 on les réunit pour former des régments qui devinrent désormais des unités de cavalerie légère comme les autres(1).

Hasard que le même instrument de musique figure aussi discrètement sur l'habit des "chasseurs", dont les alpins contemporains, et au filifrane du papier constituant les pages du manuscrit Berssous, trouvé dans une vallée chablaisienne !

DOCUMENTS

Le beau chasseur et sa Nanette morte, extrait de Vieilles chansons savoyardes II, les chansons du soldat, présentation D. Laborde et G. Delarue, édité par le Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, Grenoble, 1997, p. 122, 123 :

LE BEAU CHASSEUR ET SA NANETTE MORTE

Sont trois jolis soldats qui s'en vont à la guerre,
Qui s'en vont à la guerre, tous trois avec regret,
Pensant à leur maîtresse du joli temps passé.

Le plus jeune des trois regrette sa Nanette(2)
Regrette sa Nanette, mais il a bien raison :
C'est la plus belle fille qu'il y ait dans le canton.

Le beau chasseur s'en va trouver son capitaine(3) :
- Bonjour mon capitaine, donnez moi mon congé
Pour aller voir ma mie du joli temps passé(4).

L'capitaine lui répond : - Voilà la carte blanche,
Voilà la carte blanche, voilà ton passeport(5),
Va r'trouver ta Nanette, mais reviens-t'en d'abord.

Le beau chasseur s'en va au château de son père :
- Bonjour, père z-et mère, frères sœurs et parents,
Je viens pour voir Nanette que mon cœur aime tant(6).

Sa mère lui répond : - Ta Nanette elle est morte,
Oui, ta pauvre Nanette est morte, ensevelie,
Son corps est dans la terre, son âme au paradis(7).

Le beau chasseur s'en va sur la tomb' de Nanette :
- Parle-moi, ma Nanette, pour la dernière fois,
Mon cœur est en tristesse de ne plus te revoir(8).

Nanette lui répond : - Ma bouche est plein' de terre,
Ma bouche est plein' de terre, la tienne plein' d'amour,
Rentourne-toi-z-en guerre pour y finir tes jours.

Le beau chasseur s'en va au château de son père :
- Bonjour, père-z et mère, frère sœurs et parents,
Puisque Nanette est morte, je r'tourne au régiment.

Le beau chasseur s'en va trouver son capitaine :
- Bonjour, mon capitaine, me voici de retour,
Puisque Nanette est morte, je servirai toujours(9).

Coupe en pieds et versification normative proposée par les deux commentateurs :
MF FM FM
6.6..6.6..6.6

Bibliographie :
- Cote du manuscrit original Servettaz conservé aux A.T.P. : ms 78. 19. 263-264
- P. Coirault, Répertoire des chansons françaises de tradition orale, Paris, BN de France, tome I, 1996, tomes II et III à paraître : 1406.
- Tiersot, op. cité, 1903, p. 127-128.

Belle interprétation d'une variante (Ce sont trois jeunes garçons [la visite à Adèle]) par Marie-Noèle Lemapihan in Anthologie de la chanson française, La tradition, Cd n°5, 8, production EPM: Cliquer ici pour écouter un extrait

(1) Grand Larousse encyclopédique, op. cité.
(2) Autres noms : Aimette, l'Anette, Rosette.
(3) Le beau dragon…
ou ou Le beau galant…
(4) Pour aller voir Nanette, depuis le temps passé.
ou __________________que mon cœur a tant aimé.
ou __________________qui ne fait que pleurer.
(5) L'capitaine lui répond : - Voilà ta feuille de route,
Voilà ta feuille de route, mais ne reste pas trop.
(6) Sans oublier Nanette…
(7) Ta pauvr' Nanette est morte et enterrée,
Tout autour de sa tombe les rosiers sont plantés
(8) Mon cœur qui tant soupir désire te revoir.
(9) Certaines versions ajoutent le couplet suivant :
Son capitain' répond : - Va-t'en-z-au corps de garde,
Va-t'en-z-au corps de garde, va-t'en t'y reposer,
Tu reprendras les armes, tu pass'ras officier.

(suivante)