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1
Faut partir matelot
Pour l'île de Cythère
Ne craignez point les flots
De la mer en colère (bis)
Voguez, ramez, ramez fort
Ne soyez point sévère
Voguez, ramez, ramez fort (bis).
2
Courage mes enfants
Les vents viennent propices.
Arrivons promptement
A l'île des délices (bis)
Voguez, ramez, ramez fort
Un, deux zéphyrs se glissent
Voguez, ramez, ramez fort
Mais ramez d'accord.
3
Alerte matelot
Abordez à Cythère
D'un petit air dispos
Embarquez nos bergères (bis)
Voguez, ramez, ramez fort
Faites tout pour leur plaire
Voguez, ramez, ramez fort
Mais ramez d'abord.
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4
A cet embarquement
Faut avoir du courage
Agissez prudemment
Et soyez toujours sages (bis).
Voguez, ramez, ramez fort
Prenez garde au naufrage
Voguez, ramez, ramez fort
Mais ramez d'accord.
5
Il faudra débarquer
A la fin du voyage
De toutes ces beautés.
Il faut peindre l'image
Voguez, ramez, ramez fort,
Mettez tout en usage
Voguez, ramez, ramez fort
Mais ramez d'accord.
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Cythère : classe touriste pour tout le monde
Deux chansons (60 et 61) expliquent, en métaphores et allusions
plus ou moins galantes et coquines, le sens de faire le voyage de Cythère,
c'est-à-dire se livrer aux plaisirs de l'amour. Car dans le langage poétique
l'île de Cythère signifie le pays des amours. L'enfant de Cythère
n'est autre que Cupidon, fils de la déesse du lieu, Aphrodite, grande
amante de l'Olympe qui, d'après une tradition grecque, aurait abordé cette
île, au nord-ouest de la Crète, séparée de la presqu'île continentale
de Morée par le canal de Cervi, en Grèce méridionale. Elle serait née
de l'écume des flots(1), selon son étymologie même, déduite du grec "aphros",
l'écume. L'origine mythologique de ladite déesse est moins bizarre qu'il
n'y paraît : elle naît, à la fois céleste et marine, de la jonction agitée
de deux éléments, l'eau et le vent entourant de toutes parts le lieu,
c'est-à-dire une île, telle que Cythère ; ou Chypre plutôt, selon Homère,
vers laquelle elle fut, dit-il, poussée dans une nacre de perle, portée
par Zéphyr.
Si l'idée gracieuse qu'on se forme de l'île d'Aphrodite
ne correspond pas toujours à l'aspect de la Cythère d'aujourd'hui, ses
éléments vrais et naturels, grottes, sources thermales, convergent avec
l'expression antique des jardins d'Aphrodite pour y suggérer l'atmosphère
paradisiaque dont la dotent les poètes. Vénus, autre nom latin de la déesse,
n'est pour eux que celle des ris et des grâces ou de la galanterie : on
lui consacra, dès l'antiquité, parmi les fleurs, la rose ; on la représenta
entièrement ou à demi nue, jeune, belle, habituellement riante. "Elle
avait une ceinture où étaient renfermées les grâces, les attraits, le
sourire engageant, le doux parler, le soupir plus persuasif, le silence
expressif et l'éloquence des yeux"(2).
Tous les éléments des deux chansons rappellent ceux des
ingrédients du mythe : flots, zéphyrs, jardins, prairies, fleurs dont
la rose, parterres, sources, parfums, cœur tendre et hospitalité amoureuse.
Air n°54, scène XII des "Nymphes
de Diane"
Même, de tout cela "Il faut peindre l'image", édicte
la chanson 60, comme si Watteau n'avait pas réalisé L'embarquement
pour Cythère lequel, en 1717, avait pour titre original "Pèlerinage
à Cythère", ce qui signifie que la scène se passe dans l'île. Le paysage
n'a rien des doux reliefs de Cythère, car, en second plan, des hautes
cimes déchiquetées évoquent plutôt celles de la Dent d'Oche ou du Mont
César dans le Haut-Chablais de Berssous, encore que les feuillus, et non
les conifères ne figurent pas plus un biotope savoyard, tant il est rendu,
surtout à mi-chemin du rêve et de la réalité, dans une atmosphère vaporeuse.
Plusieurs couples, des gens du monde et des paysans, reconnaissables à
leurs costumes, mais peu (en gommant la rudesse, la grossièreté ou l'apparence
voulue des personnages masculins, les aisances affectées des féminins,
l'ampleur ostentatoire de l'habit ou l'étriqué vestimentaire rural, le
bariolage folklorique ou la noble blancheur luxueuse) portent leur habillement
comme de souples gaines chatoyantes, commodes, soyeuses, dans lesquelles
se meuvent et coulissent à l'aise des corps pleins de grâce distraite,
porteurs d'un air d'heureuse insouciance. Les visiteurs s'aident du bâton
de pèlerin dans une île montueuse qui nécessite l'effort tonicardiaque
; ils sont venus déposer des offrandes au pied de la statue d'Aphrodite,
dont le buste nu jaillit des fleurs et rosiers la symbolisant. Tout exprime
"le bien-être sans méfiance, la joie sans crispation, la force physique
sans combativité, la santé florissante"(3). Diderot, Voltaire, d'Argens,
d'Argenville, aveuglés du juste, du grand, voire adeptes d'un autre manièrisme,
héroïcisant, et qui dénoncèrent l'irréalisme des personnages selon un
sens ou un autre dans l'œuvre de Watteau, ne savaient comprendre que le
peintre rendait ces derniers au moins égaux dans l'amour, avec un art
poétique qui, comme celui des chansons, s'affermit du pouvoir séducteur
de l'évocation paradisiaque et qui amena, par un autre chemin, à l'idéal
de la Révolution (Liberté, Egalité, Fraternité) pour la vie de tous les
jours et les petits faits.
Mais le vers de notre chanson n'est peut-être qu'une antiphrase
pour rappeler que justement la peinture, à faire, du voyage à Cythère,
a été faite, n'en déplaise aux critiques. Allez savoir !
Le timbre de la pièce n° 60 doit pouvoir être retrouvé.
Le refrain est similaire à celui d'une chanson par laquelle
Charles Simon Favart fait débuter la scène première de son Thésée,
donnée pour la première fois à l'Opéra-Comique le 17 février 1745 et dont
seules les paroles figurent aussi au reprint Slatkine (op. cité, vol IV,
donné en Bib. Générale :
Frappons, frappons fort
Saboulons les en diable :
Frappons, frappons fort
Et frappons d'accord
Sur l'air de Frappons, etc…
Mais l'air semble déjà, sans doute celui d'un vaudeville,
puisque la musqiue, absente du livret, spécifie que le timbre est "Frappons,
etc..." Deux ans après, en 1747, il figure comme air n°54 des
Nymphes de Diane, en scène XII de cet opéra-comique, sous le titre
Ecoutez ma leçon, forgeron de Cythère.
Et le refrain se retrouve ensuite dans Tyrcis et Doristée,
une pastorale parodie du même Favart, représentée par les Comédiens Italiens
ordinaires du Roi, le 4 septembre 1752 : aussi le reprint Slatkine (t.
I, p. 33) reproduit-il, sur l'air Les forgerons de Cythère, une
strophe de structure semblable à la présente (MFMF en 6, 7, 6, 7 syllabes),
qui se poursuit par le même refrain.
(1) Anadyomène, autre appellation
d'Aphrodite, signifiait " sortant des eaux ".
(2 )P. Commelin, Mythologie grecque et romaine, Garnier frères
éd., Paris 1960, p. 69-70.
(3) Histoire générale de l'art, Quillet éd., Paris 1938, R. Rey
pour le XVIIIème siècle, t. IV, p. 3 et s.
(suivante)
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