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1
Me promenant dans un bocage
Où je croyais n'être que moi
J'y(1) entendis deux personnages
Qui parlaient de fendre du bois.
Je m'approche pour mieux entendre ;
L'un dit : "Eh bien fenderas-tu ?"
L'autre dit : " N'allez pas rien fendre(2)
Il n'est déjà que trop fendu".
2
Avec l'aide de mes lunettes
Bientôt j'ai vu ce que c'était :
C'était un faiseur d'allumettes
Avec Colette qui soufrait.
La folette allait déjà prendre
L'outil à fendre que j'ai vu.
Hé dit-il, n'allez pas rien fendre
Il n'est déjà que trop fendu.
3
Colin prit les soins des affaires,
Et d'un vif amour animé
Badine avec sa bergère
Et la jette sur le côté.
Plus un amant a le cœur tendre,
Plus il se sent éperdu.
Pour en un moment vouloir fendre
Ce qu'on avait déjà fendu.
(1) J'y plutôt que j' est probable
pour ajouter le pied nécessaire à la métrique, comme dans les autres mêmes
troisièmes vers de strophes.
(2) Paire de vers absente mais à restituer pour une métrique identique
à celle des autres strophes et rimer avec entendre du cinquième
vers.
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4
Colin vis à vis de Colette
Pour faire voir qu'il était expert
A bien faire des allumettes
Lui en fit un' de bois vert.
Pourtant il perdit haleine
Et pour le mal qu'il se donnait
Ne lui vint que la peine
Car Colette eut tout le plaisir
5
Avez-vous fait des allumettes
Lui dit Colette ? Travaillez !
Votre tâche est-elle déjà faite ?
Avez-vous assez débité ?
Colin allait tout entreprendre,
Mais quand il vit le bois tordu
Hé dit-il, je ne veux rien fendre,
Il n'est déjà que trop fendu.
6
Je suis chanteur jeunes fillettes
Apprenez-moi ce métier.
Je vous ferai des allumettes
Mais d'une bonne qualité.
Et si parfois je perds haleine
Je ne ferai pas pire que lui
Quand je prendrai toutes les peines,
Et vous aurez tout le plaisir.
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L'allumette de l'allumeuse
Chanson coquine, allusive et jouant sur les mots. Ainsi
sur celui de l'allumette : au XVIIIème siècle c'était encore une
petite bûche destinée à faire prendre feu, puis une simple bûchette trempée
dans du souffre fondu, qui ne pouvait s'enflammer qu'au contact d'un corps
déjà en ignition. La chanson nous précise que c'était Colette qui soufrait.
Mais la jeune fille est quasi représentée dans un rôle d'allumeuse,
expression populaire pour désigner une femme qui attire par son manège
d'agaceries. Le mot allumette a d'ailleurs pris un sens figuré pour "ce
qui allume la guerre, les passions", depuis le XVIème siècle et Calvin.
Cela est sous-entendu dans le présent texte au sujet de l'allumette de
bois vert confectionnée tant par Colin que par le chansonnier de la dernière
strophe pour donner du plaisir à Colette et aux jeunes fillettes, car
la locution métaphorique "Il n'est que de bois si vert qui ne s'allume"
nous explicite qu'aux âmes bien nées… la verdeur n'attend pas le nombre
des années!
Sur des huitains enchaînant paires de vers à 9 puis 8 syllabes
il est facile de proposer le timbre du vaudeville L'embarras du choix(1)
dont l'incipit A l'ombre de ce vert bocage suggère le rapprochement
compte tenu du même substantif rimant en fin dudit vers. Un autre air
du même Chansonnier françois peut lui être préféré, avec celui
de Tout roule aujourd'hui dans le monde(2).
(1) Le chansonnier françois, éd. De
Paris, 1760-1762, réédition Slatkine, Genève, 1971, p. 117, air n°104.
(2) Ibid., p. 311, air n°34.
(suivante)
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