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UN GROS VI, HI, HI, UN GROS VILLAGEOIS(1)


8

C'était sous l'habit champêtre
Un gros villageois étranger
Un gros vi hi hi, un gros vi hi hi
Un gros villageois étranger.

9

Chers amis de la table ronde
… tous le …….., à la main
Prends tout, prends tout
…………………, à la main.

 

 

 

 

 

 

 


(1) Texte biffé mal lisible des strophes 8 et 9, les précédentes en page 3 et 4 sans doute, puisque disparues. Le titre de la table du manuscrit est donné par l'incipit : Si près d'un bois.

Le calembour autant sinon plusque l'équivoque

La main prude et précautionneuse qui a proprement découpé la feuille paginée 3 et 4 dans le manuscrit, pour ne laisser en 5 que les strophes 8 et 9, avec chacune quatre vers biffés, d'une chanson intitulée à la table des matières Si près d'un bois, en sera pour ses frais. Nous avons retrouvé son timbre et sa variante dans une identique œuvre polissonne titrée Le curé de notre village (2) . Laforte, dans son catalogue donne sans doute la même, retrouvée au Québec depuis 1928, mais aussi appelée Les cultivateurs du village (3).

Anastasie, la censure

Les membres ou organes du corps, essentiels, vitaux, qu'ils soient ou non sexuels, compte tenu de leur fréquence d'emploi, de la rapidité à en donner l'information pour toute intervention ou repérage pratique dans la vie courante, sont pour cette logique même, souvent monosyllabiques. Leur monème à la tête ou à la fin d'un mot de plusieurs syllabes suggèrent des calembours faciles, cocasses, dans le registre choisi par l'auteur du texte. Des termes comme bouquin, confrère, vicaire, curé, cultivateur, avec une bonne découpe et composition métrique portée par un timbre musical ad hoc, permettent, précédés de l'adjectif gros, de plaisanter sur les bouts, les cons, les vits et les culs qui le sont ou le seraient. Ce jeu sur les syllabes des mots est très approprié à une langue comme la française dont les monèmes, bien détachés et guère modifiés en intonation selon leur place dans le mot, contribuent à sa clarté au niveau de son audibilité.

C'est au siècle de Louis XIV, émargeant sur le 18ème, que la langue française a été fixée, et quasi définitivement codifiée. Dès lors, le français sera avant tout le langage de la conversation littéraire et des ambassades. La prose deviendra de plus en plus courte, vive, dégagée d'allure, et son ton d'élégante familiarité, sous Louis XV, contrastera avec la pompe majestueuse de la phrase du XVIIème siècle, faisant que l'Académie de Berlin, en 1782, pourra mettre en concours " l'étude des causes qui ont rendu la langue française universelle " (discours de Rivarol).

Le côté polisson de la chanson présente tient essentiellement son effet du calembour. Ce n'est pas un hasard que ce mot apparaisse pour la première fois en 1768, dans une lettre de Diderot à S. Vollant, car il témoigne d'une maîtrise et généralisation en marche de la langue pratiquée. Cependant le jeu de mot du type calembour qui a toujours existé (on en trouve dans la plupart des auteurs anciens, d'Homère à Cicéron) s'est développé exagérément au 18ème siècle, et tellement qu'un film à succès en a fait la satire. Car mis à la mode par le marquis de Bièvre, la manie en devint telle que Voltaire s'en indigne et que plus tard, Hugo définit le calembour comme "la fiente de l'esprit qui vole". Et l'almanach Vermot leur donna raison !

Si près d'un bois adapté au Curé de notre village

Pacre que d'abord lecalembour est un jeu oral qui se dit mieux qu'il ne se lit. Il agace tous ceux (écrivains, philosophes sérieux, encyclopédiques notamment) qui cisèlent leurs écrits avec les mots les plus justes pour défendre quelque cause, toucher, émouvoir, face à des aristocrates et mousquetaires de la langue dont les pointes, les jeux désarticulant de mot ne servent qu'à défendre la gaieté contre les esprits dénoncés comme facheux, ceux qui se permettent de contester l'ordre social, le pouvoir politique, le conformisme, et qu'il faut donc faire passer dans la catégorie des discoureurs. Comme l'écrit Roger-Pol Droit "le calembour, en effet n'est pas une activité innocente. Sous des airs débiles, futiles, pitoyables, ils'emploie à rire du néant des mots. C'est là un grand crime, d'abord invisible, commis par le langage contre lui-même... Des courts-cicuits affectent le réseau des significations. Le discours sensé se trouve parasité, paralysé, transi par le double sens et les téléscopages. L'inquiétude naît évidemment d'un soupçon immédiat : ces catastrophes mineures vont se diffuser dans toutes les directions, par capillarité. Les phrases minées par le calembour menacent la totalité de la langue. Elles insinuent à leur manière que le sens, ce fameux machin dont on a plein la bouche et qu'il convient de considérer d'un air sentencieux, n'est en fin de compte rien du tout - scintillement de surface, combinaison arbitraires. En dessous l'abîme.

Les calembours font pressentir, même si de telles horreurs ne sont jamais explicitées, combien la langue n'est qu'une mince pellicule sur le vide et l'absurde" (Le Monde, 08-09-2000).

A propos de la chanson érotique française, "longtemps méprisée et souvent considérée comme impubliable", G. Delarue, au sujet d'une publication récente l'ayant en objet (4), a souligné qu'une recherche en profondeur sur les textes et timbres restait à faire, avec leur histoire, et l'étude des milieux sociaux et catégoriels intervenant dans leur naissance et diffusion. Car les meilleurs ouvrages, de compilation ou florilège, souvent même plaisamment illustrés, ne permettent pas pour autant de comprendre l'évolution de ces chansons puisqu'elles ne sont que rarement rapprochées d'apparentées plus anciennes ou plus récentes. Regroupée, confrontée et comparée avec d'autres, variantes ou non, de même type ou pas, la chanson équivoque serait aussi, par son texte (forme et thème) un des moyens d'appréhender les mentalités, les convictions idéologiques, le vocabulaire, avec les qualités et travers du moment.

La version du chansonnier Berssous informe non seulement sur la pratique de la langue mais aussi sur les termes utilisés. Le vit (issu du latin vedis, " levier, barre ", ou d'une racine signifiant " secouer, ébranler " (5)) est aujourd'hui sorti d'usage, sauf dans certains jeux de langage (contrepèteries), le mot ayant été éliminé par de nombreux synonymes. Mais en 1718 il n'apparaît pas pour autant dans le Dictionnaire de l'Académie, preuve d'une pruderie évidente de son rédacteur !

Par ailleurs la présente version du 18ème siècle se limite au calembour équivoque sur le mot villageois. L'ultérieure, du 19ème ou 20ème siècle, y a jouté une note anticléricale. Mais un seul texte n'est pas un indice statistique exploitable.

Pour le siècle des Lumières on peut consulter Métaphysique du calembour et autres jeux sur les mots d'esprit du marquis de Bievre, édition établie et présentée par Antoine deBecque, Payot, éd., 158 pages.

(2) R. Deforges éd., Les chansons de salle de garde, Paris 1972, p. 427. Ouvrage constitué à partir de L'anthologie hospitalière et latinesque, parue en deux volumes en 1912-1913. L'avant-propos de cette réédition en est le collecteur discret, E. Dardenne Bernard, qui dispersa et pilla beaucoup la collection des manuscrits érotiques inédits de Pierre Louÿs (1870-1925). En outre une bibliographie sur le sujet, pour la première moitié du XIXème seulement, permet d'appréhender la consistance du genre pendant cette période. Pour les siècles antérieurs, G. Delarue donne l'essentiel de la bibliographie de première recherche en ce domaine.
(3) Conrad Laforte, Catalogue IV, (éd. 1979), p. 261 et 116, op. cité.
(4) G. Delarue, MAR, n°1-2, 1984, op. cité, p. 223 et suivantes.
(5) A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, op. cité, article vit.

(suivante)