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Le calembour autant sinon plusque l'équivoque
La main prude et précautionneuse qui a proprement découpé la
feuille paginée 3 et 4 dans le manuscrit, pour ne laisser en 5 que les strophes
8 et 9, avec chacune quatre vers biffés, d'une chanson intitulée à la table
des matières Si près d'un bois, en sera pour ses frais. Nous avons
retrouvé son timbre et sa variante dans une identique œuvre polissonne titrée
Le curé de notre village (2) . Laforte, dans son catalogue donne sans
doute la même, retrouvée au Québec depuis 1928, mais aussi appelée Les
cultivateurs du village (3).
Les membres ou organes du corps, essentiels, vitaux, qu'ils
soient ou non sexuels, compte tenu de leur fréquence d'emploi, de la rapidité
à en donner l'information pour toute intervention ou repérage pratique
dans la vie courante, sont pour cette logique même, souvent monosyllabiques.
Leur monème à la tête ou à la fin d'un mot de plusieurs syllabes suggèrent
des calembours faciles, cocasses, dans le registre choisi par l'auteur
du texte. Des termes comme bouquin, confrère, vicaire, curé, cultivateur,
avec une bonne découpe et composition métrique portée par un timbre musical
ad hoc, permettent, précédés de l'adjectif gros, de plaisanter
sur les bouts, les cons, les vits et les culs qui le sont ou le seraient.
Ce jeu sur les syllabes des mots est très approprié à une langue comme
la française dont les monèmes, bien détachés et guère modifiés en intonation
selon leur place dans le mot, contribuent à sa clarté au niveau de son
audibilité.
C'est au siècle de Louis XIV, émargeant sur le 18ème, que la
langue française a été fixée, et quasi définitivement codifiée. Dès lors,
le français sera avant tout le langage de la conversation littéraire et des
ambassades. La prose deviendra de plus en plus courte, vive, dégagée d'allure,
et son ton d'élégante familiarité, sous Louis XV, contrastera avec la pompe
majestueuse de la phrase du XVIIème siècle, faisant que l'Académie de Berlin,
en 1782, pourra mettre en concours " l'étude des causes qui ont rendu la
langue française universelle " (discours de Rivarol).
Le côté polisson de la chanson présente tient essentiellement
son effet du calembour. Ce n'est pas un hasard que ce mot apparaisse pour
la première fois en 1768, dans une lettre de Diderot à S. Vollant, car il
témoigne d'une maîtrise et généralisation en marche de la langue pratiquée.
Cependant le jeu de mot du type calembour qui a toujours existé (on en trouve
dans la plupart des auteurs anciens, d'Homère à Cicéron) s'est développé exagérément
au 18ème siècle, et tellement qu'un film à succès en a fait la satire. Car
mis à la mode par le marquis de Bièvre, la manie en devint telle que Voltaire
s'en indigne et que plus tard, Hugo définit le calembour comme "la fiente
de l'esprit qui vole". Et l'almanach Vermot leur donna raison !
Pacre que d'abord lecalembour est un jeu oral qui se dit
mieux qu'il ne se lit. Il agace tous ceux (écrivains, philosophes
sérieux, encyclopédiques notamment) qui cisèlent
leurs écrits avec les mots les plus justes pour défendre
quelque cause, toucher, émouvoir, face à des aristocrates
et mousquetaires de la langue dont les pointes, les jeux désarticulant
de mot ne servent qu'à défendre la gaieté contre
les esprits dénoncés comme facheux, ceux qui se permettent
de contester l'ordre social, le pouvoir politique, le conformisme, et
qu'il faut donc faire passer dans la catégorie des discoureurs.
Comme l'écrit Roger-Pol Droit "le calembour, en effet n'est
pas une activité innocente. Sous des airs débiles, futiles,
pitoyables, ils'emploie à rire du néant des mots. C'est
là un grand crime, d'abord invisible, commis par le langage contre
lui-même... Des courts-cicuits affectent le réseau des significations.
Le discours sensé se trouve parasité, paralysé, transi
par le double sens et les téléscopages. L'inquiétude
naît évidemment d'un soupçon immédiat : ces
catastrophes mineures vont se diffuser dans toutes les directions, par
capillarité. Les phrases minées par le calembour menacent
la totalité de la langue. Elles insinuent à leur manière
que le sens, ce fameux machin dont on a plein la bouche et qu'il convient
de considérer d'un air sentencieux, n'est en fin de compte rien
du tout - scintillement de surface, combinaison arbitraires. En dessous
l'abîme.
Les calembours font pressentir, même si de telles
horreurs ne sont jamais explicitées, combien la langue n'est qu'une
mince pellicule sur le vide et l'absurde" (Le Monde, 08-09-2000).
A propos de la chanson érotique française, "longtemps
méprisée et souvent considérée comme impubliable", G. Delarue, au
sujet d'une publication récente l'ayant en objet (4), a souligné qu'une
recherche en profondeur sur les textes et timbres restait à faire, avec
leur histoire, et l'étude des milieux sociaux et catégoriels intervenant
dans leur naissance et diffusion. Car les meilleurs ouvrages, de compilation
ou florilège, souvent même plaisamment illustrés, ne permettent pas pour
autant de comprendre l'évolution de ces chansons puisqu'elles ne sont
que rarement rapprochées d'apparentées plus anciennes ou plus récentes.
Regroupée, confrontée et comparée avec d'autres, variantes ou non, de
même type ou pas, la chanson équivoque serait aussi, par son texte (forme
et thème) un des moyens d'appréhender les mentalités, les convictions
idéologiques, le vocabulaire, avec les qualités et travers du moment.
La version du chansonnier Berssous informe non seulement sur
la pratique de la langue mais aussi sur les termes utilisés. Le vit
(issu du latin vedis, " levier, barre ", ou d'une racine signifiant
" secouer, ébranler " (5)) est aujourd'hui sorti d'usage, sauf dans certains
jeux de langage (contrepèteries), le mot ayant été éliminé par de nombreux
synonymes. Mais en 1718 il n'apparaît pas pour autant dans le Dictionnaire
de l'Académie, preuve d'une pruderie évidente de son rédacteur !
Par ailleurs la présente version du 18ème siècle se limite
au calembour équivoque sur le mot villageois. L'ultérieure, du
19ème ou 20ème siècle, y a jouté une note anticléricale. Mais un seul
texte n'est pas un indice statistique exploitable.
Pour le siècle des Lumières on peut consulter
Métaphysique du calembour et autres jeux sur les mots d'esprit
du marquis de Bievre, édition établie et présentée
par Antoine deBecque, Payot, éd., 158 pages.
(2) R. Deforges éd., Les chansons de salle
de garde, Paris 1972, p. 427. Ouvrage constitué à partir de L'anthologie
hospitalière et latinesque, parue en deux volumes en 1912-1913. L'avant-propos
de cette réédition en est le collecteur discret, E. Dardenne Bernard,
qui dispersa et pilla beaucoup la collection des manuscrits érotiques
inédits de Pierre Louÿs (1870-1925). En outre une bibliographie sur le
sujet, pour la première moitié du XIXème seulement, permet d'appréhender
la consistance du genre pendant cette période. Pour les siècles antérieurs,
G. Delarue donne l'essentiel de la bibliographie de première recherche
en ce domaine.
(3) Conrad Laforte, Catalogue IV, (éd. 1979), p. 261 et 116, op. cité.
(4) G. Delarue, MAR, n°1-2, 1984, op. cité, p. 223 et suivantes.
(5) A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, op. cité,
article vit.
(suivante)
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