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Alors que la bataille de
Molwitz était gagnée
A partir de 1740, héritant de
son père, le " roi-sergent ", une armée solide et des coffres bien remplis,
Frédéric II de Prusse, en prévision de la mêlée de prétentions qu'allait
engendrer la succession d'Autriche, lui laissant donc le champ libre pour
ses ambitions territoriales, saisit cette occasion pour entrer à main
armée en Silésie. Il y prétendait à quatre duchés dont sa maison, bien
qu'y ayant renoncé par des transactions, avait été autrefois en possession.
Il intervint au milieu du mois de décembre 1740, et il s'empara sans peine
de presque toute la province dont Marie-Thérèse d'Autriche, toute jeune
nouvelle reine succédant au trône de Charles VI, lui avait refusé la partie
demandée.
Comme l'écrit Voltaire " L'Europe a cru
que le Roi de Prusse était d'accord avec la France quand il prit la Silésie
" . La France, effectivement, ne manqua pas de le seconder et de s'unir
aux rois de Prusse et de Pologne pour chercher à éliminer Marie-Thérèse
de ladite succession à l'empire de Charles VI, disputée par quatre puissances
!
Quels que soient les protagonistes
de l'héritage et de la guerre de convoitise qu'il enclencha, leur nombre,
quatre, explique cette bruyante tragédie diabolique, à deux, trois ou
quatre participants, que l'on appelle le diable-à-quatre, jeu auquel la
strophe deux de la chanson fait à juste titre référence. Coiffé de son
habituel chapeau Frédéric a bien été le premier à déclencher les hostilités,
explicitant ainsi sa mauvaise humeur après le refus à sa demande d'annexion
d'une partie de la Silésie (1); et le deuxième vers de la même strophe
confirme tout l'état d'esprit du roi prussien en paraphrasant l'expression
"mettre son bonnet de travers", expression populaire de même signification
quand les choses ne vont pas comme l'on veut.
L'avancée prussienne en Silésie entraîna
riposte. "Le général Neuperg vint enfin avec vingt-quatre mille Autrichiens
au secours de cette province déjà envahie ; il mit le roi de Prusse dans
la nécessité de donner bataille à Molwitz, près de la rivière Neisse (10
avril 1741). Ce moment décida pour un temps du sort de Marie-Thérèse,
de la couronne impériale, de la conduite de tous les potentats de l'Europe.
Rien de ce que nous avons vu ne fut arrivé si le Roi de Prusse eut été
vaincu ; et il fut sur le point de l'être totalement. Sa cavalerie, moins
forte que l'Autrichienne, fut entièrement rompue, son bagage pillé ; et
dans cette déroute qui parut irrémédiable, il se vit séparé de son infanterie
sans pouvoir la rejoindre…" (2).
Après s'être éloigné de Molwitz,
suivi de Maupertuis et d'un valet de chambre français sous l'escorte de
quelques hussards , Frédéric II se dirigea sur Appeln, croyant y trouver
asile. Arrivé à la porte vers minuit, il fit demander qu'on ouvre. Mais
un poste de hussards autrichiens occupait la ville : leurs soldats sortent,
attaquent la petite troupe qui répond à coup de carabine. Voyant sa liberté
fortement compromise "Adieu mes amis" dit le roi de Prusse à ses
compagnons, "je suis mieux monté que vous". On prétend que dans
cette fuite, serré de près par un houzard acharné à sa poursuite, Frédéric
II s'arrêta et lui cria : "Laisse moi, houzard, je t'en tiendrai compte".
Le cavalier répondit au roi qu'il reconnut : "Tope, après la guerre".
"Au revoir" répondit le royal fuyard à ce soldat, qui devint plus
tard le lieutenant-général prussien Paul Werner… (3)
Persuadé que son armée était en déroute,
Frédéric passa la nuit dans un moulin en proie aux plus tristes réflexions.
C'est à ce stade de son défaitisme que la chanson nous le montre, et honteux
d'une débandade que feu son père, du fond d'un tombeau auquel Frédéric
pourra même dire adieu, s'il est fait prisonnier, n'aurait pas admise.
Heureusement, comme le souligne Voltaire : "le père du roi de Prusse,
et le vieux prince d'Anhalt, célèbres dans la guerre de 1701, avaient
porté toute leur attention sur l'infanterie prussienne qu'ils avaient
rendue le modèle de tous les soldats d'Europe pour la promptitude et les
précision des évolutions, et qui était devenue comme une vaste machine
forte et agile, se mouvant par ressorts. Ils avaient négligé la cavalerie
: voilà pourquoi elle fut si aisément vaincue. Mais le seul premier bataillon
du régiment des gardes à pied répara le désordre. Une seule ligne d'infanterie
rétablit tout par cette discipline inébranlable à laquelle les soldats
prussiens sont accoutumés, par ce feu continuel qu'ils font en tirant
cinq coups au moins par minute et chargeant leurs fusils avec leurs baguettes
de fer en un moment. Cette bataille gagnée fut le signal d'un embrasement
total"(4) .
Le lendemain matin, Frédéric
apprit la bonne nouvelle. Et l'autocritique, l'impartialité qu'on lui
prête dans la chanson se retrouve dans ses mémoires où il écrit : "Molwitz
fut l'école du roi et de ses troupes… c'était à celui qui ferait le plus
de fautes, du roi ou du maréchal de Neuperg… Il n'était plus possible
désormais de mépriser des soldats qui avaient battu les vieilles bandes
autrichiennes. Non pas que les manœuvres des généraux de Frédéric fussent
irréprochables, mais la discipline de leurs soldats avait tout réparé…"(5)
.
N'ayant pas trouvé d'autre exemple de cette chanson originale,
que proposer comme timbre, dans la mesure où elle semble totaliser 80
syllabes sur une découpe spécifique (10, 9, 11, 10, 10, 9, 13, 8) ? Suggérons
un air pouvant convenir en tous points, La Marche du roi de Prusse
(clef du Caveau n° 687) par utilisation de la seconde séquence, bien marquée
d'une longue mélodie en quasi deux morceaux. Cette marche était en 1756
devenue un vaudeville couramment utilisé par Vadé (1719-1757) pour ses
textes de T'nez, messieurs les Anglais (1756) et T'nez, Monseigneur
d'Orléans (1758).
(1) Voltaire, Histoire de la guerre de 1741,
première phrase du chapitre II.
(2) Ibid., p. 11 du chapitre Ier, dans l'édition de J. Maurens, Garnier éd.,
1971.
(3) C'est l'anecdote racontée par le général Pajol, Les guerres sous Louis
XV.
(4) Voltaire, op. cité, fin du chapitre Ier
(5) Frédéric II, Histoire de mon temps, tome Ier.
(suivante)
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