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NELSON SONGERAS-TU A MOI


1

A quels maux tu me livres
Nelson, Nelson ?
Mon âme va te suivre.
Sans toi pourrais-je vivre ?
Et tu m'en fais la loi
Au lieu d'un bien suprême
Tu vas d'un cœur qui t'aime
Rendre la peine extrême.
Mais moi qui suis toi-même
Vas, tu penseras à moi.
Songeras-tu à moi ?

2

Dans nos bois dans nos plaines
Hélas, Hélas,
Mes larmes seront vaines.
J'irai briser mes chaînes
Et gémir loin de toi.
De l'un(e) à l'autre aurore
Tu vas nourrir encore
Un tourment qui me dévore
Mais toi qu'en vain j'implore
Va, tu penseras à moi.
Songeras-tu à moi ?

3

Si j'étais contente
J'osais, j'osais
Me dire ton amante.
J'ai ma voix tremblante
T'assurer de ma foi,
C'est là que ma tendresse
Prit soin de ma jeunesse.
Je songerai sans cesse
Mais toi qui me délaisse
Va, tu penseras à moi
. Songeras-tu à moi ?

4

Des charmes de t'entendre
Comment, comment
Pourrais-je me défendre.
Si mon cœur fut trop tendre
Ah ne t'en prends qu'à toi.
Tu n'en as plus l'usage.
Je t'en devais l'hommage.
Mais toi que rien n'engage,
J'emporte ton image.
Va tu penseras à moi.
Songeras-tu à moi ?

5

Si l'amour te rappelle
Ce cœur, ce cœur
Si tendre et si fidèle
Dans ta fierté cruelle
A dédaigner ma foi
Que je sois retracée.
Dans ton âme oppressée
Mais, que dis-je insensée
Bannis de ta pensée
Tout souvenir de moi,
Tout souvenir de moi

" Un Molière de la musique… "

D'un nom ni français ni savoyard, le Nelson auquel s'adresse l'amante inquiète de cette chanson n'est pas si fréquent que s'impose la stature de l'amiral célèbre, bien fait pour séduire aussi quelque collecteur porté sur les chansons qui évoquent le soldat, l'armée, les grandes victoires et les stratèges prestigieux, quelle qu'en soit leur nationalité.

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Erreur grossière ! Il s'agit là d'un des deux airs connus de l'Amitié à l'épreuve (A quels maux tu me livres et Nelson part, Nelson me laisse), un opéra-comique d'André Ernest Modeste Grétry (1741-1813), celui que ses contemporains appelèrent "le Molière de la musique". Grétry fait partie des quatre compositeurs (dont Duni, Philidor, Monsigny) qui se partagèrent les succès de la scène, dans la seconde partie du XVIIIème siècle, quand l'opéra-comique fut conquis par le style de la "musique italienne". Portrait de Favart par Liotard (Genève 1702- id. 1789.Ce fils d'un violoniste à la cathédrale de Liège, ce précoce auteur de symphonies partit d'ailleurs achever sa formation en Italie lorsqu'il eut atteint dix-huit ans. Il y étudia notamment Pergolèse, vint à Paris et fut découvert par Marmontel duquel il utilisa le poème du Huron, en 1769, pour une musique qui fit un triomphe à l'hôtel de Bourgogne. C'est en 1771 qu'il composa l'Amitié à l'épreuve(1), car auteur fécond, il donna, en trente ans (1769-1799), 44 ouvrages, dont 30 obtinrent un succès complet, avec des airs qui sont restés célèbres : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille de l'Amant jaloux, O Richard, ô mon roi, l'univers t'abandonne de Richard Cœur de Lion, etc.

Deux commentaires définissent bien le style du musicien. Larousse écrit : "La musique de Grétry brille surtout par le chant, le sentiment scénique et la vérité de l'expression, mais une fois sa mélodie trouvée, et s'adaptant bien aux paroles, Grétry laissait de côté les ensembles et l'effet des masses chorales et instrumentales." Et Cl. Duneton résume ainsi ce qu'ont apporté les quatre susdits grands de la musique italienne "… ils donnèrent à la chanson nouvelle son ton, son humeur, avec des habitudes vocales qui étaient différentes de celles des vieux airs et des vieux timbres à la française. Leurs mélodies pimpantes, sautillantes, exigeaient des gosiers plus souples, avec leurs fréquents intervalles de quinte ou d'octave, des voix travaillées, ce qui tendait à réduire leur diffusion dans un large public populaire sans préparation musicale, lequel préférera longtemps la valeur des rythmes aisés sur les airs connus de longue date(2)". On le vérifie sur la partition, et à l'émission vocale ou l'audition : l'ambitus dépasse largement l'octave en ce qui concerne le présent air, d'un ton plus haut d'ailleurs, dans l'original publié par les Favart(3). Leur mention, en page de titre, que sur les contes de Marmontel, ce sont eux qui ont écrit le scénario.

Une partition et les originaux Favart, cliquez pour écouter

(1) On trouve tout ou partie de ladite œuvre dans le Journal hebdomadaire ou recueil d'airs choisis dans les opéras-comiques mêlés de vaudevilles, rondeaux, ariettes, duo, romances etc…, Paris, La Chevardière, Lyon Castaud, 1764-1778, 13t., cote BN mus. Vm7 7198. Ou à la BN cote Vm5 2580. Et dans C.-S. Favart, comme ensuite expliqué.
(2) Cl. Duneton, Histoire de la chanson française, le Seuil éd., 1998, t.I, p. 996.
(3) Théâtre de M. Favart ou Recueil …. T. IX, op. cité, en bib. gén.

(suivante)