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JE NE PUIS PLUS ATTENDRE


1

Jardin rempli des charmes
Que vous êtes charmant.
Vous suspendez mes larmes
Et les(1) maux que je ressens.
Tous les plaisirs j'éprouve
Dans ce lieu enchanté.
Heureux si je retrouve
Ma chère liberté.

2

J'adore une inhumaine
Qui ne m'aime pas .
Insensible à ma peine
Elle cause mon trépas.
Je gémis, je soupire
Enchaîné par l'amour.
Je conte mon martyr
Aux échos d'alentour.

3

Pour dissiper ma peine
Et mon cuisant chagrin
Je vais, je me promène.
Quelque tour au jardin
L'amour me favorise :
Dans ce jardin fleuri
Je vis, quelle surprise,
Ma bergère endormie.

4

Quel transport me dévore !
Qu'entends-je, où suis-je hélas !
L'amour m'occupe encore
Qui est donc, qui voilà ?
C'est Colin ou je rêve.
Le sommeil l'a surpris
Il faut que je me lève
Pour joindre mes brebis.


(1) Conjonction erronée qui rajoute une syllabe au vers.

5

Au bord d'une fontaine
Elle était étendue
Alors mes yeux promènent.
Sa gorge toute nue.
Non jamais dans Cythère
L'amour ne fut si beau.
Cette entrevue si chère
A donné tous mes maux.

6

Je vis sur une rose
Un papillon léger,
De la sucer il n'ose
Sans prévoir le danger.
De là je vis une belle
Caresser son amant.
Que ne puis-je ma chère
En faire tout autant.

7

Doux zéphyr de l'aurore
Voltigez doucement,
La beauté que j'adore
Dort bien tranquillement.
Doux oiseaux de nos plaines
Chantez un peu plus bas.
Laissez dormir Climène
Ne l'interrompez pas.

8

Où courez-vous si vite
Insensible beauté ?
Pour vous mon cœur palpite
…. Arrêtez, arrêtez…
A des discours si tendres
Colin soit mon vainqueur.
Je ne peux(2) plus attendre,
Je te donne mon cœur.


(2) Le je ne puis de la langue classique, vieilli, est abandonné pour je ne peux.

" Sur un air et un thème connus"

Le sûr métier de l'interprète lui permet de vite rapprocher cette pastourelle de celle que collecta Servettaz, sous le titre de la Bergère endormie, en notant combien "cette mélodie doit son caractère à la limpidité de la tonalité mineure(1). Outre que dans les deux cas, la bergère et Colin dont elle rêve, dialoguent selon les principes du genre sur des strophes ayant souvent même rime, même découpe, mêmes vers, le thème de la bergère sommeilleuse et amoureuse est un avatar typique de la pastourelle du 18ème siècle selon J. Urbain(2). Le galant n'appartient plus au monde aristocratique, même si sa préciosité de cour n'a pas entièrement disparue dans le style poétique, à la foi soigné et compliqué : la gardeuse de moutons, au lieu d'un prénom populaire (du genre Manon, Lison, Fanchon) porte le précieux de Climène. Par contre Colin, qui depuis Rabelais, allégorise le garçon aveugle et stupide, songe à Cythère la mythique et soupire comme Werther. La gorge toute nue de la sommeilleuse ajoute un zeste de licence à l'aune de l'érotisme de bon ton qui est alors de mise.

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Plus longue en vers la version de Berssous nécessite de redoubler deux des lignes musicales de la partition Servettaz. Il n'y en a par contre aucune de trop pour le timbre n° 963 de la Clef du Caveau titré par le même incipit et en redoublant le dernier vers (voir seconde partition).

Le sommeil interrompu, de F. Boucher.

(1) Cl. Servettaz, Chants et chansons de la Savoie, Leroux et Abry éd., Paris-Annecy, 1910, p. 25.
(2) J. Urbain, La pastourelle française en Suisse romande du Moyen-Age à nos jours, éd. de la Thièle, Yverdon, 1986, p. 37 et s.

(suivante)