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1
Amant vous perdez vos peines
A me venir parler
Car la chose est certaine
Jamais vous ne m'aurez.
Amant prenez patience
Ne pensez plus à moi,
Car il me faut sans doutance
Un autre amant que toi.
2
Que faut-il que je fasse
Pour être aimé de vous,
Changer ce cœur de glace.
Reprenez en un peu plus doux
Quand un amant fidèle
Aime sans être aimé
La chose est trop cruelle
Il en doit être blâmé.
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3
Sous ton aimable empire
Je languis mille fois.
Autant de cœurs soupire
Dès lors que je te vois
Si le ciel t'a fait belle
Etant remplie d'appas
Faut-il pour cela cruelle
Me lancer le trépas ?
4
Pour ton aimable tendresse,
Dont mon cœur était glissé.
Je suis agité sans cesse
Mes douleurs sont augmentées
Feu sur feu, flamme sur flamme
Qui me dévore nuit et jour
Dieu que deviendra mon âme
Si vous n'avez plus d'amour.
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Avec, plutôt que sans, doutance
Le nécessaire timbre élastique de cette chanson doit permettre
de porter un huitain, par des vers alternant rimes féminines et masculines,
en 7 et 6 syllabes pour les trois premiers couplets, et augmentés d'une
pour le quatrième. C'est dire que chacune de ses séquences musicales doit
avoir sa dernière mesure suffisamment simple et souple afin d'encaisser
une telle fluctuation, et tant la strophe 2 du manuscrit paraît la plus
concise et idéale.
Pour un interprète privé de toute partition originale mais
expert de la chanson du XVIIIème siècle, l'air à proposer pourraît être
soit celui de O ma tendre musette, soit à la rigueur celui de Il
pleut, il pleut bergère. Leurs deux timbres répondent au précédent
objectif et, par leur mesure 6/8, les lignes musicales se trament sur
des structures voisines, avec un gentil balancement et un ambitus semblablement
réduit qui convient bien au style feutré ou mélancolique, quand il faut
traiter de la douleur amoureuse ou de la douceur supposée du monde pastoral
dans quelque bluette.

Nous empruntons ici à Vuarnet(1) le timbre de O ma tendre
musette qu'il dit porter la chanson en patois savoyard de Ma poura
quemare (Ma pauvre commère). Le texte français, tout autre, est de
La Harpe (1739-1803)(2) qui fut pour ainsi dire le protégé et le "poulain"
de Voltaire, avant d'en renier la philosophie après que la Révolution
l'eut emprisonné. La mise en musique, elle, fut de Monsigny (1729-1817)(3)
qui abandonna soudain son art à l'âge de quarante-huit ans, avec sa dernière
composition en 1777(4). Auquel cas notre chanson serait de peu antérieure
à cette date, si certaine était notre hypothèse.
S'il s'agit, pour le timbre, de Il pleut, il pleut bergère,
c'est d'abord celui que le jeune Fabre d'Eglantine, sur une musique de
Victor Simon, avait écrit pour une romance jouée à Maastricht, durant
l'année 1780 en Hollande, par la troupe de théâtre à laquelle il appartenait.
La chanson, intitulée L'hospitalité, avait ensuite paru dans la
Muse lyrique de 1782 sous le titre Le retour des champs,
mais la postérité, relayant la faveur du public, l'a fait désigner par
son incipit, superposant idéalement timbre et texte, et mieux que dans
notre variante de proposition !
Les lexicographes retiendront du texte la doutance,
déverbal tiré autant que le doute du verbe douter, et construite
comme défiance à partir de défier.
(1) Chansons savoyardes
recueillies par E. Vuarnet, ouv. coll., Maisonneuve
et Larose éd., Paris, 1997, p. 86.
(2) P. Vrignault, Anthologie de la chanson française, Delagrave
éd., Paris, 1926, p.234.
(3) Ibid.
(4) C. Duneton, Histoire de la chanson française, Le Seuil éd.,
Paris, 1998, t. I, p. 1000-1001.
(suivante)
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