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L'AMANTE SOLDATE CHEZ LES DRAGONS |
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1 Adieu donc chère Nanon 2 Puisqu'il faut partir 3 Dites moi cher amant 4 Quand l'amant fut parti 5 Voilà la belle Nanon |
6 Un jour le jeune amant 7 La belle par un regard 8 Voilà l'amant obéi. 9 La belle sans abus |
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Comme la Lollobrigida… avant que la mère Michel ait perdu son chat La chanson, de une à huit strophes seulement, a été retrouvée (encore chantée au XIXème siècle en Forez et Nivernais) par Gras et Millien. En 1741 débuta la guerre de Succession d'Autriche, car l'héritière,
Marie-Thérèse, possédait un héritage territorial que les autres
monarchies européennes voulaient se partager avec des prétentions démesurées
: le roi de Prusse en Silésie, le duc de Savoie et roi de Sardaigne sur
le Milanais, le roi d'Espagne dans le patchwork italien. La France, en
soutenant les objectifs prussiens dans le secteur germanique trouva vite
face à elle les Anglo-Hollandais. La campagne militaire s'ouvrit cette même année dans les Flandres puisque c'est là qu'on pouvait affronter les Anglo-Hollandais. Louis XV quitta Versailles pour Lille où il s'installa en mai 1744. Avec sa nouvelle maîtresse Marie-Anne de Châteauroux, qui allait peu à peu prendre une grande influence sur son amant, mais dont il sera obligé de se séparer en août : la favorite le quitta précipitamment, sous les huées et les projectiles de la population de Metz, le nouveau quartier général du Roi dont l'hôtel voisinant celui qu'elle venait d'habiter. Est-ce au tout début de cette campagne militaire que fait allusion la chanson ? "Nanon", la petite Anne, n'a pas le statut des maîtresses royales qui sous Louis XV accompagnent, plutôt que la reine, leur amant sur les théâtres d'opération. Du peuple il y avait cependant des femmes qui vivaient dans la mouvance des armées, de leur intendance, comme vivandières, sinon comme filles à soldats. Et l'histoire décrite ici est invraisemblable, mais sentimentalement belle : entre la duchesse Marie-Anne et la petite Anne ou Nanon, les simples gens, voire certains du parti dévot, préféraient sans doute chanter les exploits de la seconde plutôt que de la première, c'est-à-dire ceux des filles nubiles suivant et aidant de belle façon un militaire amant, même non encore marié.
Compte tenu de la tuerie, une des plus sanglantes batailles du 18ème siècle, Nanon rendit un fier service à son amant du régiment de Beauffremont, si c'est de cette victoire là qu'il s'agit. Et en y allant de sa poche ! Quels différence et contraste par rapport au couple illégitime que forment alors Louis XV et sa favorite. Marie-Anne de Châteauroux est la quatrième des sœurs de Louise-Julie, comtesse de Mailly-Nesle qui fut, dès 1733, la première maîtresse du roi, mais qui connaîtra des éclipses, dues pour la plupart à l'attrait qu'eut le même Bourbon pour les quatre sœurs!(2) Car la malheureuse Louise, pour distraire le monarque, attira imprudemment à la cour Marie Anne, qui, moins désintéressée, exigea de Louis XV maison montée, carrosse à 6 chevaux, pension, charge à la cour, et le départ de sa sœur rivale ! Le Duc de Richelieu, ayant l'oreille du roi, se chargea du renvoi de Louise, laquelle quitta Versailles en larmes(3). Pendant ce temps là, la reine, Marie Leczinska continuait d'enchaîner grossesses sur grossesses, en bonne génitrice (10 accouchements, au total donc 90 mois de grossesse!) pour constituer le vivier des héritiers de la couronne. A Metz, , la conduite… "de Grenoble" faite à la duchesse de Châteauroux, fut la conclusion logique du désaveu et de l'antipathie populaire : jugement de bon sens, les amantes aux armées, ou à proximité, n'y ont pas les mêmes qualités morales de mérite ou d'abnégation. Tiersot(4) a recueilli plusieurs chansons analogues sur des filles-soldats prenant l'uniforme militaire pour rejoindre leurs compagnons. Dans l'état-caserne qu'était la Savoie en cette partie du 18ème siècle, ou dans cette Suisse romande dont les Fribourgeois ou le Valais fournissaient tant de mercenaires aux armées d'Europe, à la sarde et à la française notamment, on comprend le succès du thème, porté par le contexte régional. Le grand collecteur de chansons alpestres y ayant recueilli quatre nouvelles versions de la Fille qui sauve son amant prisonnier, connue dans toute la France, se demande, de plus, si un vrai cas de femme déguisée pour délivrer son mari, à savoir Mme de la Valette en 1815, n'a pas eu pour modèle de sauvetage, celui-là même évoqué par ces vieilles strophes populaires. Et l'histoire de leurs timbres ne commence pas là. En 1744, mais dans les Alpes, le prince de Conti gagna contre le roi de Sardaigne, Charles-Emmanuel III, la bataille de Coni. Or le souverain savoyard ayant mis 3000 hommes dans la place, les Franco-Espagnols, sur cet autre front de la guerre de succession d'Autriche, évacuèrent le Piémont et ledit site méridional pour aller prendre leurs quartiers d'hiver dans le Dauphiné. D'où une chanson sur ce siège de Coni. Elle a été recueillie en 1903 par Tiersot(5) auprès d'un octogénaire de Bourg-Saint-Maurice. Dans un dialogue entre l'assiégé et l'attaquant, donc entre ladite ville (qui s'appelle Cuneo en piémontais) d'une part, et le prince de Conti d'autre part, huit strophes louent ou critiquent le pour et le contre de chaque élément stratégique dans l'affrontement. Le texte, en français, est visiblement celui d'un Savoyard ou défenseur du duc et roi de Sardaigne. Tiersot a reconnu l'air, celui d'une chanson militaire connue au XVIIIème siècle : "Malgré la bataille", air resté dans les souvenirs populaires associé à de toutes autres paroles : "C'est la mèr' Michel qui a perdu son chat". Que dire de sa partition ? Grâce à une ronde, décomposable en deux notes ou plus à chaque fin des quelques séquences mélodiques composant le timbre, les 8 ou 9 strophes de huit vers, élastiques quand chacun est de 6-5 syllabes, offrent une souplesse idéale pour un vaudeville dont on pressent qu'il a possibilité d'être aussi celui de notre chanson militaire sur cette Nanon fille-soldat, à travers le long dialogue qu'elle a avec son amant, quelques mois après, vers 1745, si l'on se reporte au contexte décrit. Chanson à succès puisque G. Delarue (MAR n°1-2, 1984, p. 128) donne le premier couplet d'une identique qui, en Nivernais, possède encore huit strophes et qui provient de Millien II (op. cité, pp. 107-108), mais, là aussi, sans air associé, ni date. D'autre part revenons, avec Tiersot, à la première variante ou modèle de cette même chanson, et qui, plutôt que par son incipit Malgré la bataille, reste mieux titrée par Adieux grivois dans le Chansonnier françois de 1762(6) , lequel l'attribue à M. de Voltaire. Quoique encore sous une autre appellation, Les adieux de la Tulipe, son texte est daté de 1736(7). Et le Porte-feuille de MM. De Voltaire et de Fontenelle, paru en 1757, possède le titre La grenadière de Philisbourg. En réalité les paroles seraient de l'abbé Mangenot (1694-1768) ayant rédigé le Retour de monsieur la Tulipe ! … Sous réserve du même timbre. Le thème est lestement exposé. Sauf par la priorité donnée au héros plutôt qu'à l'héroïne, il est, comme dans le recueil Berssous, celui d'un couple d'amants aux armées. A la veille de la bataille de Philisbourg (1734) sinon d'une autre, la Tulipe demande insouciamment à sa maîtresse, élégante catin du régiment, plutôt que de songer au pire du lendemain, de boire, de faire ripaille et l'amour, là où cela leur est possible, à l'entrée du casernement "près du corps de garde". La richesse du militaire se limite à un briquet et une pipe qu'il laissera à son aimée en héritage éventuel. Encore que la ville ait été capturée par les Français lors de cette guerre de succession de Pologne, Philisbourg est une cité de la province de Bade en Allemagne, très éloignée de Lille dans la Flandre, mais la chanson a du naviguer ensuite, au gré des conflits et interprètes successifs. Tel que brossé, le type de soldat se précise ainsi, défini par Littré : dans l'ancien régime, la Tulipe était "un surnom appliqué aux caporaux et aux sergents qui faisaient ce qu'on nomme au bivouac les jolis cœurs". C'est donc à juste titre celui de Fanfan dans une chanson populaire qu'Emile Debraux ("le roi de la goguette", "le Béranger de la canaille") créa en 1819(8) , utilisant le timbre d'une antérieure, Boira qui voudra larirette. Sur un rythme franc et gai, la composition en 8 couplets a été source de plusieurs pièces de théâtre, plus un film de Christian Jacque en 1952, dont le susnommé La Tulipe (Gérard Philippe) est le personnage central avec sa belle - Gina Lollobrigida ! C'est pendant la guerre de Sept ans (1756-1763) que l'auteur cinématographique situe l'action, et certaines autres chansons du manuscrit Berssous auraient pu, connues, être aussi à leur place chronologique. Mais pas celle assez antérieure, faussement attribuée à Voltaire ou même celle du chansonnier Berssous se rapportant éventuellement à la campagne des Flandres. Dans les strophes supposées du philosophe, La Tulipe figure déjà le type du soldat français aimant le vin, les femmes et la gloire. Mais par la présence de Nanon chez les dragons dans d'ultérieures versions plus populaires, le rôle principal, celui d'une femme courageuse, prend autrement de la consistance, avec une problématique de couple, située dans un milieu où l'évocation, plutôt que le cas, avait dû longtemps paraître incongru. C'est l'évolution du thème - on le titrerait aujourd'hui "faire l'amour plutôt que la guerre" - vers un fait de société qui n'est plus escamoté et qui rompt avec la gloriole cocardière pour traiter des problèmes individuels. Ultime dégradation quand le timbre portera les strophes d'un canular culinaire : C'est la mèr' Michel qui a perdu son chat ! Or l'air sur lequel elles se chantent est en fait déjà connu depuis le 17ème siècle ; il fut celui d'une chanson de marche intitulée Ah, si vous aviez vu monsieur Catinat, composée après la victoire dudit maréchal sur le duc de Savoie, à la Marsaille en 1693(9) . Plusieurs chansons de marche ont emprunté cet air, comme Grand Duc de Savoie, à quoi penses-tu ? Et le proposer sinon retrouver dans le chansonnier de la chapelle d'Abondance ou d'un voltairien et francophile, n'est peut-être pas incongru ou pur hasard. Car le timbre a du très bien s'acclimater dans la province savoyarde puisque, Tiersot nous l'a dit, c'est celui qui supporte les strophes sur le siège de Coni. 1693, 1736, 1744, 1745, 1757 la chronologie d'un air dans la mouvance des armées ne s'arrête pas à ces quelques jalons parmi d'autres. Car sous l'Empire, quand l'application du blocus contre l'Angleterre ne va pas sans difficulté, et que l'entrée dans Rome a été décidée, Piis, l'un des fondateurs du Caveau moderne et auteur de chansons de parodie réutilise encore le vaudeville pour la Halte à Tivoli(10), présentant en 1808 l'épisode militaire napoléonien comme un avertissement à Madrid. Même la tardive partition donnée par la Clé du Caveau convient au mieux pour porter les paroles du manuscrit Berssous. (1) Référence dans tous ouvrages traitant
en détail de la bataille de Fontenoy. Voir celle de la chanson 92 du recueil
Berssous. |
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DOCUMENTS Les adieux de la Tulipe, extrait musical tiré de Anthologie de la chanson française, La tradition, Cd n°2, 8, production EPM : cliquez ici pour écouter. Partition extraite du livre V du Chansonnier français, munie de la première strophe du recueil Berssous et de celle des Adieux grivois, attribué à Voltaire, op. cité des Libraires associés paru en 1757, p. 5, t. I, dont toute la poésie est donnée ci-après. Strophe 1 chantée par Jean Blanchard, Anthologie de la chanson française, EPM musique, 1992-1994, la tradition, Cd n°2-8. Partition de la Halte à Tivoli : le rythme plus monotone, lissé, permet au timbre de porter éventuellement avec plus de souplesse une structure poétique moins dépendante. Partition n°22, plus tardive, et cataloguée dans la Clé du Caveausous la rubrique Malgré la bataille ou si vous aviez vu monsieur Catinat. Note: "On est convenu de faire aller ces deux chansons sur le même air. On ne peut chantr la seconde qu'en chantant deux notes au lieu d'une". Le report de la première strophe du manuscrit Berssous offre une meilleure corrélation syllabe-note. |