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LE CHARME DU PLAISIR


1

Jeune beauté faite pour nos désirs
A la gaité joignez la volupté.
C'est la divinité
Qui soutient votre empire
Dans les bras d'un amant.
Que son cœur est charmant.
Qu'en pensez-vous ?
Bon je vous vois sourire.

2

Pour vos appas Lucie mon cœur soupire.
Laissez moi voir
Par dessous ce mouchoir
Ah le beau reposoir.
Souffrez que l'on admire.
Je voudrais que ma main
Y commette un larcin.
Qu'en pensez-vous ? (bis)

3

Quoi, vous boudez !
Lucie je me retire
J'irai plus bas chercher d'autres appas.
Si je fais du fracas
Vous n'aurez rien à dire ;
Si je donne du désir
Et aussi du plaisir
Qu'en pensez-vous ? (bis)

4

Il ne faut pas
Mourir vierge martyre.
Faisons un tour au palais de l'amour.
Des secrets de sa cour
Je vais vous instruire.
Son trône est un sofa,
Son sceptre le voilà
Qu'en pensez-vous ? (bis)

5

Suivez mes pas
Je suis un vaillant sire :
Cinq à six fois
C'est le moins de mes exploits
Cet ouvrage je crois,
C'est vous qui me l'inspirez.
Demain je reviendrai, je recommencerai
Qu'en pensez-vous ? (bis)

6

Fanchette, hé bien
Ne voulez-vous rien dire ?
Répondez donc si cela est ou non.
Vous savez qu'un garçon
Demande à se produire.
Son plus cher agrément
Est celui d'être amant
Qu'en pensez-vous (bis).

7

Qu'en pensez-vous
Plus belle que l'aurore ?
Vos yeux riant me rendront-ils content ?
Ne tardez pas longtemps
Tendre objet que j'adore.
Rendez-moi mon cœur joyeux.
Faites un amant heureux
Qu'en pensez vous ? (bis)

8

Qu'en pensez-vous ?
Ah daignez donc m'instruire.
Vos sentiments me semblent surprenants.
Un silence aussi grand !
Faites que mon cœur soupire.
Apprenez moi enfin
Quel sera mon destin.
Qu'en pensez-vous ? (bis)

9

Laissez charmer votre cœur Zémire
Pourquoi tarder
Puisqu'il faut s'engager.
Le temps est précieux
Quand le cœur le désire.
Comblerez-vous mes vœux ?
Oui, je lis dans vos yeux.
Qu'en pensez-vous ? (bis)

10

Oui cher Tircis votre amour j'accepte
Mais un amant doit agir prudemment.
Si je fus si longtemps
A demeurer muette,
C'est pour mieux sentir
Le charme du plaisir
Qu'en pensez-vous ?
Bon je vous vois sourire.

De la gaillardise, du badinage, de l'hédonisme

Une très longue chanson de dix strophes alors que la version parue à Genève en 1785(1), sur l'air de Il est toujours le même, ne compte que cinq couplets, mais avec une versification et présentation plus cohérentes. Celles du présent recueil sont souvent fautives dans la découpe des vers.

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Le texte est de la même veine et esprit anacréontique que celui d'autres chansons du recueil, la 33 par exemple, c'est-à-dire qu'il est dans le goût et le genre où l'on cherche à imiter l'insouciante gaieté des poésies d'Anacréon, poète lyrique ionien. Ce grec a écrit des odes bachiques et érotiques en en portant le type à la perfection. On lui a attribué des Odes éditées par H. Estienne en 1554, qui ne sont probablement pas de lui, quoique néanmoins des pièces aimables et légères qui célèbrent dans une langue élégante et facile, les plaisirs de la vie et les beautés de la nature. La poésie française possède dans ce genre quelques stances remarquables de Voltaire et de petits maîtres du XVIIIème: Chaulieu, Parny, Gentil-Bernard et surtout d'André Chénier qui sut restituer, dans ses Bucoliques, le ton et l'inspiration du modèle grec.


Dans la première strophe le mot culte du vers antépénultième permet un calembour
équivoque, supprimé dans la version Berssous, où le substantif est remplacé par coeur.

La recherche précieuse du poète apparaît notamment à travers le choix des prénoms. Si ceux de Lucie ou Lucile, et de Fanchette restent dans la gamme des courants qu'utilisaient les gens du peuple, ceux de Tircis et de Zémire font référence à la mode antique en vogue. Zémire, la courtisée, serait-elle mal orthographiée dans la version du recueil Berssous, une émule de Sémire dont Voltaire avait tracé le modèle dans Zadig ? Le jeune Chaldéen devait épouser cette beauté que sa naissance et sa fortune rendaient le premier parti de Babylone. Zadig "avait pour elle un attachement solide et vertueux, et Sémire l'aimait avec passion. Ils touchaient au moment fortuné qui allait les unir"(2). Mais une Zémire existait aussi dans la comédie-ballet en vers, sur musique de Grétry, créée en 1772 : Zémire et Azor.

(1) J. Neaulme, Nouveau recueil de chansons choisies, in 12, Genève, 1785, t. IV, p. 132-136, air N 51, p. XVII.
(2) Voltaire, Zadig, chapitre I, "Le borgne" (1748).

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