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1
Lison dormait dans un bocage
Un bras par ci, un bras par là.
Son lit était un vert feuillage,
Ah que l'on dort bien comme cela.
Son amant est là qui la guette.
(1)Voyons, dit-il, réveillons la.
Il lui tira sa collerette
Réveillons là, réveillons là.
La belle toujours sommeilla.
2
Jetons, dit-il sur la dormeuse
Des fleurs par ci, des fleurs par là.
Il en couvrit la sommeilleuse.
Elle dormait malgré cela.
Un tendre baiser sur sa bouche
Peut-être la réveillera.
Voyons cela, voyons cela.
Un, deux et trois ne l'effaroucha.
Voyons cela, voyons cela.
La belle toujours sommeilla.
3
L'amour qu'à son aide il appelle
Lui dit par ci, lui dit par là
Colin prit la flèche légère
D'un bras que l'amour guida.
Tout la lança, tout la lança
Tout la lança sur la bergère
Tant la lança, tant la lança
Qu'enfin la belle s'éveilla.
(1) Manque le septième vers : Réveillons
là, Réveillons là.
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4
La bergère toute interdite
Lui dit par ci, lui dit par là :
"Colin, allez-vous en bien vite
En agit-on comme cela ?
Ma foi dit-il j'ai vu l'aurore
Moins belle que vous n'étiez là.
Dormez comme ci, dormez comme là
A des grâces dormait encore
Dormez comme ci, dormez comme là
Et Colin vous réveillera.
5
Venez amie dans mon cœur tendre
Le feu par ci le feu par là.
C'est dans mes yeux qu'il a su plaire
Le feu brutal qui l'embrasa,
Ce joli teint couleur de rose
Ce beau cheveu qu'amour brûla
Tomba par ci tomba par là
Comment ne pas aimer cela.
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Du père de Mademoiselle Mars à Dezède et Mozart
Mieux calibrée que la présente version (aux strophes où
manquent parfois des vers mais avec un cinquième couplet) cette chanson
existait déjà avec ses quatre premières stances sous le titre La sommeilleuse,
dans le Nouveau recueil de chansons choisies(1), paru à Genève
de 1782 à 1785, lequel l'attribuait à Monvel (1745-1812) comme auteur
du texte.

Jacques Marie Boutet dit de Monvel, né à Nancy et fils d'un
musicien du roi de Pologne, fut acteur et auteur dramatique français.
Acteur au Théâtre Français en 1772, où il jouait les pères nobles, il
devint directeur d'une troupe française à Stockholm (1781-1786) avant
d'entrer en 1791 au Palais royal, fondant avec Talma le théâtre de la
République. Il écrivit des pièces révolutionnaires, Les victimes cloîtrées
(1791), etc…, et prononça dans la chaire de l'église Saint-Roch à Paris,
en dalmatique tricolore, un éloge de la déesse Raison (1793). En
1799, la fille de Monvel, Mlle Mars fut admise dans la société des Comédiens
français : elle y demeura 33 ans, rentrant en 1833 comme pensionnaire
à la Comédie, pour se retirer en 1841. On l'avait surnommée "le diamant"
et c'était l'actrice favorite de Napoléon Ier, tant elle excellait dans
la tragédie et la comédie, surtout classiques.
Le présent texte, bien dans l'esprit des pastorales de l'époque,
met en scène deux campagnards aux noms stéréotypés : Lison et Colin. La
collerette que porte la sommeilleuse est un autre moyen de dater la chanson
: ce volant plissé ou froncé, placé en garniture au bord d'une encolure
ou d'un décolleté de robe, avait disparu sous Louis XIV, mais était réapparu
sous Louis XV, avec le nom de tour de gorge. Sous Louis XVI, cet
accessoire en dentelle ou en gaze, fort plissé, s'appela archiduchesse,
collet Médicis, collet monté (soutenu par une armature). Mais dans
la robe à la française du XVIIIème siècle la collerette ne dissimule pas
le décolleté : elle le met en valeur, autour seulement du cou, en rappel
de l'étoffe d'un corsage très ouvert.
Le compositeur de la musique est Nicolas Dezède (1742-1792),
peut-être fils illégitime de Frédéric II de Prusse. Il écrivit à partir
de 1772 pour opéras, opéras-comiques, théâtres sur les livrets de Monvel,
avec représentations à la Comédie-Italienne(2). Et on lui doit l'air de
Lindor du Barbier de Séville que notre recueil à retenu avec la
chanson n°6.
Le thème des 9 variations pour piano, K264, de Mozart
est emprunté à cet air de "Lison dormait dans un bocage", extrait
de l'opéra-comique de Dezède, Julie, donné le 14 juin 1773(3).

(1) T. IV, p. 132.
(2) Th. Baker et Nicolas Slonimsky, Dict. bio. des musiciens, R. Laffont
rééd., 1995, p. 1011.
(3) Ibid.
(suivante)
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