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L'amoureux romantique plutôt que le ramoneur égrillard
Le fac-similé de ces mêmes strophes dans le Chansonnier
Français(1) de 1760-1762, mieux que les écrites du manuscrit Berssous,
illustre les séquences mélodiques du timbre, et montre par le graphisme
des lettres ou les fantaisies orthographiques que celles dudit possesseur
chablaisien ne sont pas moins typiques du siècle. Le timbre porteur, un
vaudeville très connu, est celui du " Haut-en-bas " avec son usuelle
formule terminale de diverses chansons de l'époque, où les Savoyards ramonent
ainsi les cheminées des maîtresses de maison (de la baronne à la simple
brunette ou ménagère !) avec tout le côté métaphorique, allusif et polisson
que l'on devine.
AEglé, la surnommée de notre version sérieuse, tient l'appellation
du grec aiglè ou "éclat". Le prénom, littéraire, renvoie à ce vocabulaire
du néoclassicisme dans l'Europe du XVIIIème siècle, qui appartient aussi
au préromantisme, car "il veut être une manière de révolution, comme
en témoigne la diffusion des idées de Winckelmann (Réflexions sur l'imitation
des œuvres grecques, 1755), reprises en France par Quatremère de Quincy"(2).
Cette réelle nostalgie d'un âge d'or de l'humanité faisant que le fond
prime quand même sur la forme, l'érudition affleurante ne tue pas la fraîcheur
et la sincérité (sinon la simplicité) dans l'expression de la sensibilité.
"Le sentiment" n'est-il pas le maître mot de la strophe quatre
? On songe au Traité des sensations de Condillac (1714-1780), sorte
d'évangile philosophique de l'époque apportant une justification théorique
à une "morale du sentiment", où les sensations fortes, (voir la
strophe deux), expriment - comme un critère de vérité - une lucidité subjective
préférée à la médiocrité commune, celle de croire par exemple que la puissance
du pouvoir, celle d'un roi sur son trône, pourrait forcer AEglé à l'amour.
La Révolution s'annonce : on goûte et on exprime corrélativement moins
l'attrait de la vie mondaine. La frivolité des grands agace. On rejette
les grand-messes consensuelles au profit du tête-à-tête à la campagne
où la conversation peut prendre essor plus librement. Malgré conventions
et platitudes le goût du public reste aux beaux sentiments et aux douces
émotions. Du sceptre du roi l'amoureux n'a que faire, et c'est avec la
houlette (strophe trois) du berger qu'il tente sa séduction.
(1) Op. cité, p. 302 du reprints Slatkine
(1971).
(2) A. Lagarde et L. Michard, op. cité, p. 483, voir Bibliographie générale.
(suivante)
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