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LES CHAINES DE L'AMOUR(1)


(1) Le timbre Du haut en bas proposé ci-dessous est un vaudeville qui servit très antérieurement dans d'autres chansons. Par exemple en 1729 pour celle " … sur le repas du Grand Thomas " .

 

L'amoureux romantique plutôt que le ramoneur égrillard

Le fac-similé de ces mêmes strophes dans le Chansonnier Français(1) de 1760-1762, mieux que les écrites du manuscrit Berssous, illustre les séquences mélodiques du timbre, et montre par le graphisme des lettres ou les fantaisies orthographiques que celles dudit possesseur chablaisien ne sont pas moins typiques du siècle. Le timbre porteur, un vaudeville très connu, est celui du " Haut-en-bas " avec son usuelle formule terminale de diverses chansons de l'époque, où les Savoyards ramonent ainsi les cheminées des maîtresses de maison (de la baronne à la simple brunette ou ménagère !) avec tout le côté métaphorique, allusif et polisson que l'on devine.

AEglé, la surnommée de notre version sérieuse, tient l'appellation du grec aiglè ou "éclat". Le prénom, littéraire, renvoie à ce vocabulaire du néoclassicisme dans l'Europe du XVIIIème siècle, qui appartient aussi au préromantisme, car "il veut être une manière de révolution, comme en témoigne la diffusion des idées de Winckelmann (Réflexions sur l'imitation des œuvres grecques, 1755), reprises en France par Quatremère de Quincy"(2). Cette réelle nostalgie d'un âge d'or de l'humanité faisant que le fond prime quand même sur la forme, l'érudition affleurante ne tue pas la fraîcheur et la sincérité (sinon la simplicité) dans l'expression de la sensibilité. "Le sentiment" n'est-il pas le maître mot de la strophe quatre ? On songe au Traité des sensations de Condillac (1714-1780), sorte d'évangile philosophique de l'époque apportant une justification théorique à une "morale du sentiment", où les sensations fortes, (voir la strophe deux), expriment - comme un critère de vérité - une lucidité subjective préférée à la médiocrité commune, celle de croire par exemple que la puissance du pouvoir, celle d'un roi sur son trône, pourrait forcer AEglé à l'amour. La Révolution s'annonce : on goûte et on exprime corrélativement moins l'attrait de la vie mondaine. La frivolité des grands agace. On rejette les grand-messes consensuelles au profit du tête-à-tête à la campagne où la conversation peut prendre essor plus librement. Malgré conventions et platitudes le goût du public reste aux beaux sentiments et aux douces émotions. Du sceptre du roi l'amoureux n'a que faire, et c'est avec la houlette (strophe trois) du berger qu'il tente sa séduction.

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(1) Op. cité, p. 302 du reprints Slatkine (1971).
(2) A. Lagarde et L. Michard, op. cité, p. 483, voir Bibliographie générale.

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