Retour à l'accueil
37
L'AMOUR EN RÊVE ET EN VRAI


1

L'autre jour la jeune Annette
Reposait tranquillement.
Un ruisseau près cette belle
Murmurait paisiblement.
L'amour faisait sentinelle
Pour garder ce bel enfant.

2

Je lui dis "Dieu trop sensible,
Ah je te prie d'approuver
Que je fasse un tour risible :
C'est pour t'attendre rêver.
Tu verras qu'il est possible
Le secret je vais trouver. "

3

Je lui pose sur la tête
Des focustes(1) de pavots blancs
Elle s'écrie "Berger arrête,
Je ne crois point tes serments.
Ah méchant, depuis ma fête
Tu m'as troublé tous mes sangs.


(1) Erratum ou hapax sur le modèle d'arbuste, locuste, robuste, etc… A rapprocher peut-être d'un autre hapax fouguiste une fois donné par le Journal de Genève selon Littré.

 

4

Finis donc je te supplie
Je vais perdre la raison.
Voyez donc quelle folie !
N'agis point de trahison
Ou je quitte la prairie
Pour courir à la maison.

5

L'amour éclate de rire,
Voyant mon projet rempli.
Le berger qu'il inspire
S'éveille ensuite et pâlit.
Je l'embrasse elle soupire
Voilà le rêve accompli.

L'amour tendre, ironique et frivole secondé par l'opium

Avec sa structure versifiée correctement bâtie en strophes ou/et huitains (enchaînant à chaque stance trois paires de vers de 8 et 7 syllabes), cette pastorale, même sans partition retrouvée, peut sans difficulté être portée par tout timbre de chanson ou vaudeville construit pour cette métrique. Nous proposons donc ici celui d'une pièce semblable où se manifeste aussi l'amour tendre, ironique et frivole, Je me levay par un matin, dont la source est J. Mangeant, dans son Recueil des plus belles chansons des comédiens français, imprimé en 1615. Sans exclure toute meilleure solution.

De la pastorale le texte garde seulement le principe du dialogue, le cadre champêtre, la réticence prudente de la courtisée, la ruse de l'amoureux, mais il n'y a plus affrontement de classes sociales au travers de leurs représentants dans un couple.

Ce qui singularise cette chanson, c'est l'utilisation d'un artifice plus symbolique que de prise réelle, à savoir du pavot blanc dont les têtes ou capsules, qui contiennent de l'opium, sont employées comme sédatif, calmant et narcotique léger, et dont les feuilles, à même effet, entrent dans la composition du baume tranquille. L'opium a des effets inverses selon les doses : à petite sur le cœur, les vaisseaux, la respiration avec excitation, hypertension, pouls plein et accéléré, respiration plus ample et plus rapide, stimulation psychique ; à dose forte hypotension, pouls lent, arythmique, respiration ralentie. A trop faible dose, le système nerveux est excité, à dose normale, il est endormi.

Les strophes 3,4,5 évoquent allusivement de tels risques : euphorie exagérée, sangs troublés, perte de raison, pâleur, rêverie anormale.

Cliquez pour écouter

(suivante)