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LA BATELIÈRE ÉVANOUIE


1

Sur le bord de la rivière
Un jour m'allant promener
J'aperçus une batelière
De moi elle s'est approchée,
En me disant d'un air (si )(1) tendre
"Monsieur, venez (me)(2) passer l'eau"
Sur ma foi (sans) plus attendre (bis)
J'ai entré dans son bateau (bis).

2

Quand nous y(3) fûmes au large
Le vent se mit à souffler.
J'apercevais que l'orage,
Les eaux se sont(4) abaissées.
Mon bateau fait la cadence,
Est tout prêt à renverser,
La belle perd connaissance (bis)
Sans me pouvoir plus parler (bis).

3

Je ne savais comment faire,
Me voyant en pareil cas.
J'employais mon savoir faire
Pour la tirer d'embarras.
Son corset je lui délace
Pour qu'elle puisse respirer.
Son cœur froid comme une glace (bis)
M'annonce tout le danger (bis).


(1) Adverbe sans utilité, et excessif d'une syllabe dans la métrique du vers.
(2) Complément d'objet supplémentaire, et excessif d'une syllabe dans la métrique du vers
(3) y ajouté pour l'équilibre du vers en 8 syllabes.
(4) S'étant serait préférable.

4

Par bonheur que dans ma poche
J'avais un joli flacon.
Je le prends, je le débouche.
Cette odeur je lui fait sentir.
Le beau bouchon reprend lumière,
Me regarde tendrement
Me prend ma main, me la serre (bis).
Je l'embrasse tendrement (bis).

5

J'apercevais que l'orage
Les eaux s'étiont(5) abaissées.
La belle reprend courage.
En voyant nous approcher
Elle m'embrassa cette belle.
Et en me donnant la main,
En me disant d'un air tendre (bis),
Demain vous repasserez (bis)


(5) Voir note 4.

Une batelière plus amoureuse que navigatrice

Cette batelière là vogue sur un bateau, substantif générique sans taille spécifique, plutôt que sur une barque ou sur un canot, mots qui, quand il est question de navigation sur une embarcation individuelle dans le Chablais lémanique, sont plutôt localement utilisés. Le réalisme de la pratique nautique ne semble d'ailleurs pas avoir été, pour l'auteur des paroles de cette chanson, un objectif nécessaire au décor minimum campé. On ne sait si le bateau est à voile ou à rame, l'antique nau à fond plat du Léman ou déjà un esquif à quille : il n'apparaît là que pour le seul besoin de tangage par gros temps, afin que la batelière évanouie fournisse au passager l'occasion de lui délacer le corset pour administrer un parfum suave, revigorant sinon aphrodisiaque… Le flacon qui le contient nécessitant alors d'être débouché pour l'utilisation, son bouchon indispensable suggère d'utiliser aussitôt le signifiant de cet obturateur avec son autre sens, selon le terme familier de tendresse apparu au XVIIème siècle et que Molière a valorisé dans "Que je t'aime mon petit bouchon". L'acception affectueuse du mot vient du verbe bouchonner, frotter le poil du cheval avec un bouchon de paille ou de foin pour sécher la sueur refroidissante. Etre ainsi aux petits soins et couvrir de caresses, ou cajoler, implique pour ledit bouchon, réciproquement, par métonymie et déduction, d'avoir une utilisation, une texture et un contact agréable, de nature féminine et donc appropriée à l'anthropomorphisme affectant le signifié(1).

Autre déduction chronologique à tirer aussi du vocabulaire : le corset à délacer est un sous-vêtement antérieur à la Révolution dont la mode en revint, pour le buste féminin, aux ceintures et aux bandelettes grecques et romaines. La gaine, malcommode pour évoluer ou manœuvrer une barque, n'eut pas été de mise, à supposer qu'il y ait eu quelque devancière d'Isabelle Autissier ou de Florence Artaud.

Malgré quelques erreurs de transcription du texte dans la première et deuxième strophe, la chanson est en huitains bien structurés par paires de vers à 8 et 7 syllabes. Compte tenu de cette répétition il est évident que la partition supportant les paroles implique, non pas une ligne mélodique continue, mais des séquences calquées sur les paires de vers qui se succèdent. Et lorsque la métrique poétique est correctement charpentée, il est facile de trouver un timbre porteur adaptable, quel que soit le sujet de la romance. Faute d'air retrouvé directement associé aux dites paroles, celui proposé ici est tiré de "Les plaisirs de la société", livre I, 1761. Mais un autre vaudeville, l'air de Que chacun de nous se livre (Clé du Caveau n°485) ferait aussi bien l'affaire. Le bis de la dernière paire de vers de chaque couplet, compte tenu de la notation incertaine du manuscrit, doit s'interpréter d'un bloc et sans la fractionner par redoublement séparé de chaque vers.

(1) Etymologie reprise à A. Rey, Dict. Hist. de la langue Française, Le Robert éd., Paris 1992, T.1, p. 253.

Clé du Caveau, n°485 :

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