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L'EXÉCUTION DU DÉSERTEUR


1

Triste état que d'être soldat
Grand dieu je le vois pour moi :
J'ai déserté, j'ai été arrêté
Par les cavaliers de la maréchaussée.
Enchaîné l'on m'a amené.

2

Etant arrivé à la ville de Calais
Bataillon était arrangé.
Tambour battant, la musique jouant
Tambour battant que mon cœur est changé !
Il faut mourir ma chère maman.

3

Etant arrivé à la ville destinée
En prison l'on m'a amené
Dans un cachot renfermé : la dedans
Où attendait …. la mort à tout moment !
Il faut mourir ma chère maman.

4

Drapeaux déployés, ma sentence annonce
Que j'aurai la tête cassée
Par les grenadiers pour avoir déserté.
Ah ciel quel triste métier
Triste sort, pitoyable mort.

5

Etant à genoux prosterné devant vous
Vous demandons pardon à tous.
Les yeux bandés, le confesseur auprès,
Dieu nous pardonnera tous.

6

Grenadier vainqueur, de moi n'aye point peur
Tire moi tout droit dans le cœur
Au même instant le grenadier tira.
A quatre pas la cervelle sauta
Triste état que d'être soldat !

Avant Boris Vian et Jean Giono

Le mot déserteur, au 17ème siècle jusqu'en 1680, n'avait pas le sens militaire, bien acquis au suivant à partir du verbe déserter(1).

Au 18ème siècle, parmi les manifestations artistiques traitant de faits de société qui émeuvent par leur conclusion dramatique la sensibilité du public, il y a désormais celui du déserteur, de sa motivation et de son exécution. En 1769, Le Déserteur, titre un opéra-comique, poème dramatique représenté par un théâtre et dans lequel le dialogue est entrecoupé de chants avec accompagnement d'orchestre, sur une musique de Monsigny. Le texte est de Sedaine (1719-1797) qui, en 1765, a fait représenter le Philosophe sans le savoir et connut, "avec cette pièce, malgré les difficultés que lui suscita la censure, un des plus grands succès de l'histoire du théâtre du 18ème siècle"(2), en traitant du duel, et de l'honneur. Une société en pleine transformation, et où pèse désormais d'un lourd poids la bourgeoisie, se reconnaît dans des drames qui portent sur les préjugés entourant le code moral désuet conçu par la noblesse.

Le drame réaliste et pathétique est à nouveau traité en 1770 par Sébastien Mercier (1740-1814), le plus vraiment dramaturge de tous ces auteurs du même genre théâtral, avec identique titre : Le déserteur. Et une gravure de la B.N., datant de l'époque, illustre la conclusion de telles rebellions dont Boris Vian nous a donné l'illustration moderne.

Gravure du XVIIIème siècle

La quasi même chanson avec partition, collectée par J.-M. Jacquier(3), attitré spécialiste et interprète de la chanson franco-provençale, est connue - ce n'est pas un hasard que cette contiguïté par rapport à La-Chapelle-d'Abondance - dans sa vallée même et dans le proche Valais. Et C. Perrier souligne sa présence soutenue dans d'autres régions francophones. C'est le cas justement de toute cette mitoyenne Suisse romande, où Jura et région de Fribourg qui ont fourni tant de mercenaires, sont corrélativement denses en chansons sur les déserteurs, dont celle-ci, relevée par Rossat sous diverses variantes(4). Nous les donnons en annexe car les différences minimes de timbres, de paroles, permettent des recoupements et des corrélations. Et les adjonctions de strophes manquantes (c'est le cas de la version Berssous) peuvent allonger l'œuvre jusqu'à 7 ou 8 couplets. Plusieurs versions du Jura n'ont pas la première strophe et commencent par celle faisant allusion à la ville de Calais. Par contre il manque dans le texte de Berssous le couple où le déserteur veut écrire à sa mère et au pays dont il provient. Le vœu du soldat d'être exécuté par tir au cœur plutôt qu'à la tête n'est exaucé, semble-t-il, que dans la version valaisanne donnée par Rossat ou dans une des Chansons populaires de l'Ain par Ch. Guillon.

La chanson est émouvante à un autre titre. La trouver dans un recueil de la vallée d'Abondance, sur le chemin qui permit à plus d'un fuyard de franchir le Pas de Morgins pour accéder au Valais suisse renvoie au Déserteur, le beau roman de Giono traitant d'un cas réel, celui du déserteur Charles-Félix Brun qui, vers 1850, emprunta la même route discrète pour s'établir en sécurité à Nendaz, village de montagne dudit Valais, et y peindre, avec talent, ses fameuses fresques.

LE DESERTEUR

Ah quel triste état que d'être soldat
Ohé les amis jugez-en sur moi
J'ai déserté on m'a rattrapé
Trois grenadiers qui m'ont emmené
Dans un cachot pour y être jugé (bis)

La ville de Calais c'est là que j'allais
Trois beaux bataillons là-bas m'attendaient
Tambours battant musique en jouant
Tambours battant et mon cœur en pleurant
Il faut mourir voici le moment (bis)

Puisque c'est ici qu'il me faut mourir
Ah laissez-moi écrire au pays
Ah laissez-moi écrire à ma mère
C'est un malheur qui me cause la mort
Il me faut mourir voici le moment (bis)

Grenadiers vainqueurs de moi n'ayez peur
Ah tirez-moi z'une balle dans le cœur
Tout aussitôt grenadiers tirèrent
Tout aussitôt la cervelle sauta
Voici le sort du pauvre soldat (bis).

Partition ci desous par J.-M. Jacquier (La Kinkerne). Cliquer JAC pour un écouter un extrait de la chansons du Déserteur interprété par la Kinkerne, et SAB pour l'interprétation chorale de cette même version par le groupe Sabaudia de Thonon (Musicoo Mi 042) :

(1) A. Rey, op. cité.
(2) Lagarde et Michard, op. cité, p. 461.
(3) Auprès de Max Molliet en 1973 qui la tenait du curé Tinjod de Chevenoz.
(4) A. Rossat, Les chansons populaires recueillies dans la Suisse romande, T. I, 13, 1917, p. 151 et s., pub. de la Sté Suisse des T.P.

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