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1
L'autre jour, Colin et Colette
Badinaient dans un vert bosquet
En roulant sur la tendre herbette.
Colin lui apporta un bouquet.
" - Viens mon cher Colin, mets les dans mon sein "
" - Non ma foi ", dit-il, il n'y a point de péril ".
2
Colette un jour dans la prairie
Brûlait à l'ardeur du soleil.
" - Viens mon cher Colin, je t'en prie,
Dans ce bois, je meurs du sommeil.
- Ah que nenni da je n'irai pas.
Je ne suis si fou, j'ai trop peur du loup.
3
Ah mon cher Colin je t'en prie
Je me pâme, j'ai mal au cœur.
Je t'en prie, soutiens ma tête.
Ah mon cher Colin je me meurs.
Approche toi donc, mon cher mignon,
Pour me secourir, où je vais mourir.
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4
Que j'ai le temps de me sauver !
Lâche moi donc que je prenne la fuite.
Car l'on dirait que c'est moi qui t'aurais tuée.
Le monde à présent est si médisant.
Je pars promptement : crainte d'accident !
5
Arrête donc Colin, arrête !
Je crois que cela ne sera rien.
Je t'en prie, soutiens ma tête
Tu peux bien me guérir Colin
Coupe mon lacet, défais mon corset
Pour me secourir fais moi le plaisir.
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Ou comment paraître le roi des…
Une chanson assurément antérieure à la Révolution puisqu'abandonnant
le corset on en revint alors aux ceintures et aux bandelettes (d'étoffe
ou de cuir) que portaient les femmes grecques et romaines. Et si sous
Louis XIV le corset se lace toujours devant, ce ne sera que vers 1720
qu'il se serrera dans le dos. C'est donc entre 1720 et 1789 environ que
ce benêt de Colin aura eu l'occasion, sur proposition de l'intéressée,
de couper le lacet avec lequel Colette ne peut facilement relâcher et
ôter le bustier qu'il serre, tant elle est pressée de s'en libérer pour
d'autres motifs que la pâmoison.
Colin, comme tous les vieux, usés et trop fréquents prénoms
populaires (d'ailleurs le sien dérive de Colas, diminutif de Nicolas)
est utilisé par péjoration, de même qu'à travers la littérature, avec
plaisanterie, dans le mot composé colin-maillard, nommant le joueur
aveugle, aux yeux bandés chargé d'attraper et d'identifier un autre joueur.
Même moquerie dans le composé colin-tampon, employé pour désigner une
batterie de tambours dédaignée par les autres corps des tambours suisses
de l'ancienne garde royale. Mais Colin est aussi le type du berger jeune
et amoureux que traduit l'expression jouer les Colins. Dudit pâtre
le caractère souvent niais (c'est le cas présent), opposé à celui de la
fille délurée qu'est Colette, relevait peut-être, chez l'auteur du texte,
d'un parti pris et d'une arrogante mentalité ("de classe" dirait la critique
marxiste) : son propos dévalorise le jeune et novice rural tandis qu'il
rend la campagnarde légère, donc par conséquent destinée ultérieurement
aux avances pressantes et au libertinage de la gent masculine, voire en
justifiant le viol ou le droit de cuissage dans une société inégalitaire,
brutale et machiste.
Mais une telle présentation d'un Colin sans appétence sexuelle
aurait pu naître aussi de l'incompréhension de données plus coutumière.
Quelles que soient l'usure et la dévalorisation du prénom de Colin, ce
dernier dépend, étymologiquement et festivement, de Saint-Nicolas, patron
des jeunes célibataires masculins. Dans une vaste région de la France
du Nord (Flandres maritimes, Picardie côtière, partie de l'Artois et de
la Normandie, Pays de Bray) au groupement des garçons, placés sous la
protection de Saint-Nicolas, correspondait jadis le groupement des filles
sous l'égide de leur patronne Sainte-Catherine. A l'activité spécifiquement
religieuse des deux groupements s'en ajoutaient d'autres de caractère
laïque et social, impliquant des droits et des devoirs pour les Catherine
et les Nicolas. Les garçons de la paroisse étaient dirigés et représentés
par un roi, mare, ou bâtonnier, sorte de commissaire et
chef élu nommé parfois le prince des Sots, l'évêque des Innocents,
le roi des Mal-Prouffitans, le Prince d'Amour. Les filles avaient
de même une reine, maresse ou bâtonnière, fille de fête,
prieure, etc.... Le Roi de Saint-Nicolas allait offrir branche fleurie
ou bouquet la veille de la Sainte-Catherine à la représentante de l'autre
sexe, laquelle avait le droit d'inviter l'élu masculin ou quelque autre
de sa catégorie d'âge à danser, sans qu'il puisse refuser(1). Or la chanson
nous le dit : c'est parce que Colin lui a apporté un bouquet que Colette
l'invite à continuer le badinage.
A plus d'un élément de la chanson son Colin s'inscrit
dans cette culture folklorique, mais jusqu'à la caricature dans la mesure
où ce Prince des sots l'est totalement. Compris dans son langage
paysan fautif et parfaitement outré : le da après nenni
est une forme patoise d'interjection en fin de phrase, mot utilisé ici
pour renforcer une affirmation, en l'occurrence négative.
Du même tonneau est l'interjection finale "Dam on est
pas toujours en train" d'un vaudeville avec partition(2), donné ci-après
pour pallier l'absence du timbre non identifié de la chanson du recueil
Berssous. Ce n'est plus avec Colette mais avec Lisette que le garçon se
révèle aussi fuyard.
La chanson galante du XVIIIème siècle montre cependant quelques
exemples d'un Colin autrement dégourdi. L'édition Ballard(3), dans son
Recueil d'airs sérieux et à boire, en 1720, fait en effet conclure
la bergère :
" Ah l'aimable Colin scait trop bien engager mon cœur,
Il fut mon vainqueur… "
Et de manière nullement platonique dans un Recueil de
chansons érotiques évoquant plus crûment Les amours de Colin et
Colette(4), avec un incipit proche de celui du présent manuscrit,
à savoir "Un jour Colin et Colette", mais sur une toute autre métrique.
(1) Sur l'ensemble de la coutume, voir A.
Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, Paris, Picard
éd., 1943, t. I, p. 204 et s.
(2) Recueil d'ariettes choisies … dédié à Mlle Canivet, par Mr
Hochbrucker, œuvre IV, p. 22, B.N. mus. Cote A 34386, p. 22.
(3) B.N. cote Vm7 553, p. 35, fév. 1720.
(4) B.N. cote Rés. Vm Coirault 85.
(suivante)
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