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LE GOUVERNEUR DE FISCHER
(air non identifié)


1

Adieu Hanovre ma mignonne,
Je viens te faire mes compliments.
Il le faut sans retardement,
Ville que tu donnes, sans que tu raisonnes,
Trois millions d'écus coûtants.
Dépêche toi car il est temps.

2

Ne vous mettez point en colère ;
Monsieur de Fisher écoutez ;
Voilà trois millions bien comptés.
Finissons d'affaires, vous êtes trop sévère,
Vous emportez tout notre argent,
Contentez-vous pour le présent.

3

Veux-tu bien m'éviter la peine
De traiter avec rigueur,
Donner cet argent d'un grand cœur.
Ce sera(1) mes étrennes, ma petite reine,
Que tu feras à mon amant
Afin qu'il t'aime bien tendrement.


(1) Le e du mot semble à élider pour la structure métrique à moins que le Ce précédent soit superflu.

4

Ne vous mettez point en colère,
Mon brave monsieur de Fisher.
Tout cela ne sont des comptes en l'air.
Sous des barbouillages, des jargons sauvages,
Parlez-moi plutôt bon anglais,
Car je n'entends point le français.

5

Hanovre pour te faire entendre,
Je ferai ronfler les canons
Sur toi et sur ta garnison.
Et tu pourras comprendre si j'ai le cœur tendre.
Sachez que je suis un Allemand
Beaucoup plus traître qu'un Normand.

6

Me voilà sans sou ni maille
Réduit' à la mendicité.
Il me faudra en vérité
Coucher sur la paille comme la canaille.
Je me souviendrai pendant l'hiver
Du corps des Chasseurs de Fischer.


NDLR : nous avons ajouté une ponctuation qui, notamment, affirme dans les 4èmes vers de strophes la césure séparant des hémistiches rimant entre eux. La structure versifiée de l'ensembleparaît très élaborée.

Mercenaires au service de Louis XV

La dynastie de Hanovre en Grande Bretagne (1714-1901), débutant avec Georges Ier (1714-1727), continuée par Georges II (1727-1760) et tous leurs successeurs, explique les liens de parenté et l'alliance durable entre la monarchie britannique et le Hanovre au cours des guerres de Louis XV. Cela permet de comprendre aussi la strophe 4 de la chanson, puisque Johann Christian Fisher, chef des partisans allemands au service de la France, préfère parler anglais au Hanovrien plutôt qu'en un français qu'il maîtrise mal.

Carte des alliances militaires, Altas Historique  Perrin

L'épisode, décrit par le texte de la chanson, se situe durant l'été 1758. Au lieu de paraphraser l'excellente biographie(1) faite sur Fisher et ses capacités militaires, donnons la en document.

Fisher s'étant aussi distingué à Berg-op-Zoom, victoire objet de la chanson n°10 du présent recueil, avec ses mêmes troupes étrangères, mercenaires comme celles du régiment suisse de Courten valorisé par la chanson n°91 étudiée ci-après, cette insistance sur les guerres de Louis XV, avec ce type d'effectifs militaires, semble un indice pour mieux situer le recueil Berssous.

Fischer étant né dans la région de Metz, cette chanson se retrouve normalement dans Puymaigre, Chants populaires recueillis dans le pays Messin, vol. I, pp. 238-240, Nancy-Metz, 1881 :

Le gouverneur de Fischer
(Guénange)

1

- Bonjour, Hanovre, ma mignonne,
Je te viens faire compliment ;
Il me faut sans tardement,
Il faut que tu me donnes,
Sans que tu raisonnes,
Quatre millions d'écus comptant,
Dépêche-toi, car il est temps.

2

Je n'entends point votre langage,
Mon brave gouverneur de Fischer,
Ce ne sont que paroles en l'air.
Ce n'est que badinage,
Du jargon sauvage ;
Parlez-moi un peu bon anglais,
Car je n'entends point le français.

3

- Hanovre, pour te faire entendre,
Je ferai ronfler mes canons
Sur toi et sur ta garnison.
Je te ferai comprendre
Si j'ai le cœur tendre ;
Sais-tu que je suis Allemand,
Mais bien plus traître qu'un Normand.

4

- Pardon, Monsieur, si je refuse
De vous donner tout cet argent,
Le pays est trop indigent.
Mais si je refuse,
C'est ce qui m'excuse.
Voilà deux millions tout en or,
Contentez-vous de ce trésor.

5

Me voilà sans deniers, ni mailles,
Réduite à la mendicité.
Me faudra, sans plus résister,
Coucher sur la paille
Comme une canaille.
Vous me jouez un vilain tour
En me venant faire la cour.

6

- Bonsoir, Hanovre, ma mignonne,
Porte toi bien, jusqu'au revoir,
Porte-toi bien, jusqu'au désespoir
Si je t'abandonne,
C'est que j'ai la main bonne.
Tu te souviendras pendant l'hiver
Du brave gouverneur de Fischer ! (2)

Apparemment strophes en vers de 9, 9, 9, 6-7, 6-7, 8, 8, syllabes en rimes F, M, M, F, F, M, M.

(1) Dictionnaire de biographie française, p. 1403-1402.
(2) Note de Puymaigre : "Ces couplets me sont arrivés de points forts différents et je les rencontre aussi dans le recueil manuscrit de M. Ernest Auricoste. Il pense qu'ils doivent exister dans quelques recueils ou mémoires de l'époque". CQFD !

FISCHER (JEAN-CHRÉTIEN)

Brigadier des armées du roi. Au milieu du XVIIIème s., les Français et leurs ennemis s'accordèrent pour le reconnaître comme un maître dans la guerre de partisans. Ses origines restent obscures; il était de religion protestante, très vraisemblablement rhénan ou alsacien. Il apparaît pour la première fois dans l'armée française en 1740, au service du comte d'Armentières. D'abord valet d'officier, il donna des preuves réitérées de hardiesse, pendant la campagne de Bohême, en menant paître chaque jour, dans les îles de la Moldau, à la tête des autres valets, les chevaux d'officiers. De ces valets, il forma une compagnie, dont on lui laissa le commandement. Promu bas-officier, il reçut, grâce à ses exploits et à la protection des maréchaux de Belle-Isle et de Noailles, une commission de capitaine réformé dans la compagnie franche de La Haye (1er nov. 1743), ce qui lui permit de lever une petite unité de chasseurs, dont l'effectif augmenta au fur et à mesure que ses services se multipliaient. Les chasseurs de Fischer portaient la pelisse demi-écarlate bordée de fourrures grises, avec des agréments de laine jaune, la culotte hongroise demi-écarlate, les bottes à la hussarde, le bonnet noir, le plumet blanc et la cocarde blanche; ce sont les ancêtres de nos chasseurs à cheval. En 1744, Fischer opéra d'abord en Flandre, puis, de là, passa en Alsace; pendant, le siège de Fribourg-en-Brisgau et pendant l'hiver, il mit à contribution toute la Souabe autrichienne et les pays environnants. L'année suivante, il était à l'avant-garde de l'armée du Palatinat et pénétrait dans Francfort, où il enleva, par le plus hardi coup de main, le rédacteur de la Gazette locale, dont les écarts avaient déplu au gouvernement de Louis XV. Appelé en Flandre, à l'armée du maréchal de Saxe, Fischer se montra, tout en continuant ses exploits de partisan, un remarquable agent de renseignements. Après le siège de Berg-op-Zoom, où il s'était distingué, le roi lui accorda, le 15 sept. 1747, une commission pour tenir rang de lieutenant-colonel d'infanterie et de cavalerie. Pendant la période de paix, en 1754, les chasseurs de Fischer furent utilisés, comme d'autres rég., pour essayer de faire cesser les activités du fameux contrebandier Mandrin. Fischer le surprit à Gueunand (Saône-et-Loire), mais, malgré la supériorité de ses effectifs, ne put s'en emparer. A peu près à la même époque, Fischer recruta, à la demande de la Cie des Indes, un corps de volontaires qui, par la suite, servira dans la guerre en Amérique. La guerre de Sept ans allait porter sa réputation à son apogée. Avec deux cents hommes, en juill. 1758, il enleva Marbourg et, Ziegenheim, entra dans Göttingen. et Einbeck levant des contributions, faisant des prisonniers, capturant du matériel de guerre et du ravitaillement. Le mois suivant, il attaqua le Hanovre, possession du roi d'Angleterre George 11, et infligea une grave défaite aux chasseurs hanovriens, qui perdirent cent deux tués et vingt-sept prisonniers, chiffres très importants, compte tenu des effectifs restreints mis en présence. Après la bataille de Bergen (13 avr. 1759), il défit l'arrière-garde prussienne, au passage de la rivière d'Arloff, sous Hungen, tailla en pièces un bataillon de grenadiers, deux escadrons de dragons de Finckenstein et obligea les trois autres escadrons de ce rég. à mettre bas les armes. Il leur enleva deux étendards et leur caisse militaire, ce qui lui valut sa promotion au grade de brigadier (21 avr. 1759). Il sut s'en rendre digne, en défendant très longtemps Oberwinter, en maintenant ses postes sur la ligne de la Roer et en étant l'un des principaux artisans de la victoire de Clostercamp (16 oct. 1760). Entre temps, le 2 sept. 1759, il était devenu chevalier de l'ordre du Mérite, réservé par la monarchie française à ses officiers de confession protestante. En dépit des services qu'il avait rendus, très jalousé par beaucoup, peu aimé du maréchal de Broglie, Fischer connut une demi-disgrâce, car, le 27 avr. 1761, Louis XV signa une ordonnance donnant en titre le corps des chasseurs au marquis de Conflans, Fischer n'en étant plus que lieutenant-colonel. Il se confina alors dans son service de renseignements; là encore, on lui adjoignit une " doublure " dans la personne d'un certain Goldberg, et, mal renseigné par lui, Fischer ne put prévenir à temps ses chefs d'un mouvement de l'ennemi. Très piqué dans son amour-propre, il s'alita et mourut le 1er juill. 1762, emporté en trois jours par une fièvre maligne. Le 3, du camp de Landwerhagen, le maréchal de Soubise écrivait au ministre : " Nous le regrettons beaucoup et je crois avec raison ". Le général Pajol conclut ainsi la très courte notice qu'il consacre à Fischer : " Sa vie devrait être écrite avec détails et répandue dans l'armée pour servir d'exemple et d'encouragement. "

Arch. de la Guerre. - Pinard, Chron. Hist.-mil., VII, 527. - E. de Ribeaucourt, Vie mil. De J.-C. Fischer. - R. Dupuy, Hist. Du 12ème chasseurs, 1891, p. 18, 19. - Pajol, Les guerres sous Louis XV, V, 366 et 367. - Funck-Brentano, Mandrin, 1908, p. 270 sq.

H. Duchêne-Marullaz.

(suivante)