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1
(Frédéric)(1)
Grand Louis roi débonnaire
Soyez touché de mon sort.
J'ai agi en téméraire.
Je confesse que j'ai tort.
Calmez donc votre colère.
Apaisez votre courroux.
Car je suis dans cette guerre
Le plus malheureux de tous.
2
(Louis XV)
Frédéric quand l'on m'offense
J'en tire toujours la raison.
Sachez que le roi de France
Ne veut point de trahison.
Vous avez eu l'imprudence
D'attaquer mes alliés.
Vous irritez ma clémence
Vous perdez mes amitiés.
3
(Frédéric)
C'est à vous grande princesse
Souveraine des Hongrois,
C'est à vous que je m'adresse
Pour vous demander la paix.
Cessez donc de me poursuivre
Mon cœur sera satisfait.
Mon train ne peut plus vous suivre
Je suis trop petit cadet.
4
(Marie-Thérèse d'Autriche)
J'ai l'honneur de vous connaître
Vous êtes un très fin renard.
Vous avez beau vous soumettre
Vous vous soumettez trop tard.
Il faut voir cette campagne,
Si chacun aura son tour,
Si vous aurez l'Allemagne
Ou bien moi le Brandebourg.
5
(Frédéric)
Noble grande princesse
Souveraine des Russiens,
Soyez ma protectrice,
Ayez pitié des Prussiens.
Retirez, je vous en prie,
Vos troupes de mes états.
Quittez la reine d'Hongrie,
Rappelez tous vos soldats.
(1) Ndlr : Les noms des souverains ont été
ajoutés pour une meilleure compréhension mais n'existent pas sur le manuscrit.
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6
(Elisabeth la Tsarine)
Je vois ce qui vous chagrine
A l'entour de Brandebourg.
Vous connaîtrez l'exarinne(2)
Avant qu'il soit peu de jours.
Car j'ai quarante mille Russes
Qui marchent d'un très grand train,
Qui passent dedans la Prusse
Pour assiéger Berlin.
7
Vous voulez comme Alexandre
Conquérir le monde entier.
L'on va bientôt vous apprendre
Un peu mieux votre métier.
Vous voulez qu'on vous renomme
Comme un illustre guerrier.
Voyons si votre couronne
Sera ornée de lauriers.
8
(Frédéric)
Je n'ai personne qui m'aide
Ni qui tienne mon parti.
Voyons si le roi de Suède
Veux être mon bon ami.
La nécessité m'oblige
De demander son appui.
Mais hélas ce qu'il m'afflige,
Il m'est contraire aujourd'hui.
9
Je vois former un nuage
Qui n'annonce rien de bon.
Je vois préparer l'orage,
J'entend ronfler les canons.
J'ai grand peur que la trompette
Me déchire mes drapeaux.
Car la foudre est toute prête
A me laisser sur le carreau !
10
Cruel destin, sort funeste,
Je suis à moitié rendu.
Je vais jouir de mon reste.
Je vois que je suis perdu.
Je ne bats plus que d'une aile,
Comme fait le papillon
Qui se brûle à la chandelle.
Maudit soit le carillon.
(2) La Tsarine
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Mais "la France fut la victime de la guerre"
(Frédéric II)
Les strophes de cette chanson originale s'articulent selon
un dialogue entre monarques européens du XVIIIème siècle, à savoir Frédéric
II, Louis XV, Marie-Thérèse d'Autriche et la Tsarine Elisabeth. Le
contexte est celui de la guerre de 7 ans qui eut lieu de 1756 à 1763,
entre l'Angleterre et la Prusse coalisées d'une part, l'Autriche, la France
et leurs alliés (la Russie, la Saxe, la Pologne, la Suède, la Hesse, le
Brunswick) d'autre part. Marie-Thérèse d'Autriche veut reprendre la Silésie
au roi de Prusse Frédéric II, tandis que Français et Anglais ont commencé
par en découdre sur mer et aux colonies. A la suite du traité de Versailles,
concrétisant l'alliance franco-autrichienne en mai 1756, Frédéric II devance
l'action commune de ses adversaires par l'invasion de la Saxe qui devient
une base d'opération après la capitulation de Pirna.
La première strophe de la chanson exprime à Louis XV les excuses de Frédéric
II pour cette action préventive(1), mais que n'admet évidemment pas le
roi de France dans sa réplique du couplet suivant.
Après les princes allemands en janvier 1757, la Russie s'est
aussi ralliée, en février, à l'alliance franco-autrichienne. La Prusse
lutte désormais pour son existence contre des forces vingt fois supérieures
(d'après le nombre d'habitants respectif de chaque état). La chance tourne
plusieurs fois au cours de batailles classiques de l'histoire militaire.
Bien que Frédéric II mène des offensives qui aboutissent à des combats
d'anéantissement, il ne peut empêcher la réunion des forces coalisées.
L'ensemble des affrontements fait 554000 morts ; de 1759 à 1761 le roi
de Prusse conduisant une guerre défensive, les armées autrichienne et
russe anéantissent presque la sienne à la bataille de Kunersdorf en 1759.
Frédéric II, selon les strophes 3 et 5 de la chanson, tente, mais en vain,
de plaider une cause apparemment désespérée auprès de Marie-Thérèse d'Autriche
et de la Tsarine Elisabeth. La strophe 8 décrit le même échec du côté
de la Suède, laquelle a rejoint l'alliance franco-autrichienne en mars
1757.
Et par leur franchissement de la Peene (Allemagne orientale) les troupes
scandinaves menacent la Poméranie. Les Russes occupent Berlin en octobre
1760, c'est-à-dire peu avant la rédaction du texte de notre chanson puisque
la ville est dite en passe de tomber. Frédéric ne sera sauvé du désastre
que par l'avènement de Pierre II, son admirateur, qui succède à Elisabeth
en janvier 1762 et donc quitte la coalition. Epuisées, la France et la
Suède abandonnent les hostilités(2).
De ces belligérants, dans la chanson comme sur les champs
de bataille continentaux, est une grande absente, l'Angleterre, qui a
su tirer les marrons du feu en n'envoyant que des subsides à la Prusse
(avec à son service seulement Ferdinand de Brunswick au Hanovre) mais
en conquérant les colonies françaises d'Inde et d'Amérique du nord. Ce
qui fait dire à Pitt, non sans humour : "Nous avons gagné le Canada
en Silésie", car dès que la Grande Bretagne a atteint ses buts outre-mer,
Pitt est renversé et on cesse d'aider la Prusse (1761).
Les dits et non dits de la chanson en montrent l'intérêt.
Par
ailleurs qu'elle ait été retenue trente ans après cette guerre dans le
recueil Berssous, où elle n'est pas d'actualité, est sans doute un indice
pour mieux connaître le collecteur.
Les strophes de 8 vers, à rimes alternées féminines et masculines
de 8 ou 7 syllabes, ont dû utiliser l'air de quelque vaudeville en vogue
et de même structure rythmique. Il en est par exemple un paru en 1761,
dans Les plaisirs de la société (livre I)(3) dont l'incipit, PRES
DE PARIS LA GRANDE VILLE, débute par une satire féroce de la guinguette
de Jean Ramponeaux, le "Tambour royal" de la Basse Courtille : l'air convient
excellemment pour le présent texte. Charles Collé, en 1760, ayant publié
une déjà semblable chanson(4) sur ladite guinguette, et étant auteur littéraire,
mais non compositeur de musique, les airs qu'il utilisa préexistaient
à ses créations des seules paroles. Ceci, pour la corrélation chronologique
un peu juste. Mais rien ne s'oppose à l'utilisation d'airs à même rythme
et longueur mélodique, tels que ceux utilisés aussi pour d'autres chansons
du recueil, ou connus comme celui, mnémotechnique, de C'est la petite
Thérèse, afin de mieux personnaliser chacun des acteurs royaux dans un
même pot-pourri.
(1) Au total 200000 Français furent tués
pour que Frédéric II garde en définitive la Silésie, puisque Louis XV
les fit se battre pour la Prusse, puis contre elle !
(2) Atlas historique Perrin, Paris, 1987, p. 279. Le présent propos en
suit le commentaire et reproduit la carte des opérations, p. 278.
(3) Le timbre est donné par R. et M. Blanchard, dans Paris Voix de
ville, 1998, p. 110.
(4) Ib. p. 109.
(suivante)
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