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1
Ah(1) quelle tristesse
J'endure en ce couvent.
Mon cœur plein de tristesse
Souffre mille tourments.
Une mère sévère
Met fin à mon bonheur.
Je suis au monastère
L'amour en est l'auteur.
2
Faut-il qu'un cœur si tendre
Demandant à me voir
J'ai toujours une espionne
Qui me suit au parloir.
Qu'on m'apporte une lettre
On la déchire devant moi !
A tout faut me soumettre
Ah quelle dure loi.
3
Je déteste la grille
Encore plus le verrou.
Dans le monde une fille
Goûte un sort bien plus doux.
Un amant plus(2) des charmes.
A su charmer mon cœur.
Dans le séjour des larmes
J'endure des douleurs.
4
Faut-il qu'un cœur si tendre
Soit ici renfermé.
L'on me force de prendre
L'état d'austérité.
Déjà je sentais croitre
L'amour et ses plaisirs.
A présent dans un cloitre
Je pousse des soupirs.
(1)"Hélas", comme dans la version de
Rossat apporte au vers un nombre correct de 7 syllabes.
(2) "plein" est plus vraisemblable, comme dans la version de Rossat.
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5
Faut-il que l'on m'enterre
Vivante dans ce lieu.
Ah que des pleurs amers
S'écoulent de mes yeux.
Je regrette le monde
Et surtout mon amant.
De tristesse profonde
Je meurs à chaque instant.
6
Oh mère inexorable
Laissez vous attendrir.
Quoi seriez vous coupable
De me laisser mourir.
Au travers de la grille
Je me lance vers vous
Parce que votre fille
Désire un sort plus doux.
7
Toi pour qui je soupire
O mon très cher amant
Viens finir le martyr
Que j'endure au couvent,
Enfoncer le grillage,
Briser tous vos verroux.
Tire moi d'esclavage
Tu seras mon époux.
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A l'encontre de la conviction
Alors que la Savoie est particulièrement terre catholique,
le nombre de chansons recueillies par Berssous qui dénoncent les vocations
forcées est sans doute significatif de son éthique. Et de celle des philosophes
du 18ème quand Diderot, en traite, en 1760, avec la Religieuse, où est
évoqué le cas d'une jeune moniale de l'abbaye de Longchamp qui avait demandé
à être relevée de ses vœux. Problème non isolé, permettant d'animer quelques-uns
des thèmes anti-monastiques connus depuis le XVIème siècle, mais pimentés
par la mentalité du XVIIIème siècle, dont un féminisme reconnaissant aux
femmes le droit à l'amour, au plaisir, au libre choix.
Malgré une partition non fournie par le manuscrit, ces strophes
de 8 vers en enchaînant paires de 7+6 syllabes suggèrent un vaudeville
bien bâti. Rossat(1) a publié la même chanson, collectée en Valais, et
ayant plusieurs strophes différentes. Avec celles du présent recueil c'est
un beau texte de huit couplets qu'il est possible de bâtir.
Comme le Valais est aussi de tradition catholique et mitoyen,
avec le Chablais savoyard, la parenté des deux chansons en est renforcée,
et en donnant peut-être à l'auteur du manuscrit Berssous une affinité
valaisane.
(1) A. Rossat, Les chansons populaires
recueillies dans la Suisse Romande, Pub. de la Sté Suisse des T.P.,
Lausanne, 1931, p. 196-197.
(suivante)
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