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1
Me promenant sur le tard
Le long d'un bois à l'écart,
Chassant bécasse et perdrix,
Dans le bois joli,
Tout au travers des allées
Je vois Diane
Tenant mon fusil bandé,
Tout prêt à tirer.
2
J'entends le cri de mon chien,
D'un chasseur le vrai soutien.
J'avance et je crie tout haut
Au travers d'un roseau.
D'une vive affection
Je fais ma ronde.
J'ai trouvé faisant mon tour
Un gibier d'amour.
3
J'aperçois une beauté
Dans un lieu écarté,
Assise au bord d'un fossé,
… A se reposer.
Je tire un coup de fusil
La belle fit un si grand cri
Que le bois retentit.
4
"Rassure toi mon cher cœur
Je lui dis avec douceur.
Je suis un vaillant chasseur.
De moi n'aye point peur.
En te trouvant belle enfant
Ici seulette
Je veux être ton soutien
Et te faire du bien.
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5
Rassurez-moi, je vous prie,
Car de peur je suis égarée.
Je me trouve ennuyée,
Je suis égarée,
Mettez-moi dans le chemin
De mon village.
Car sans vous Monsieur
J'aurais couché dans le bois.
6
La belle donnez-moi la main,
Votre chemin n'est pas loin.
De vous faire ce plaisir
J'en ai le loisir.
Mais avant de vous quitter,
Chère mignonne,
Voudriez-vous m'accorder
Un tendre baiser ?
7
Je ne puis refuser,
Je veux vous récompenser.
Prenez en deux ou bien trois,
C'est là votre choix.
Vous m'avez d'un très grand cœur
Rendu service.
C'est pour moi beaucoup d'honneur,
Adieu donc Monsieur.
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Juste pour la mélodie
Tiersot(1) qui a trouvé dans la région des Alpes françaises
deux versions de cette chanson, recueillies l'une à la Mure, l'autre à
la Baume, c'est-à-dire très près de la vallée d'Abondance d'où vient notre
manuscrit, en donne la mélodie "qui a du caractère". Mais il n'en
fournit que les paroles du premier couplet dont il juge la poésie "fort
plate". Le manuscrit Berssous nous permet donc d'en connaître toutes
les strophes, dont la première, évoquant Diane, fait référence à une déesse
antique, dans le goût de la mythologie qui est de mode au XVIIIème siècle,
et à condition d'en connaître l'intervention implicite. Son usuelle comme
divinité de la chasse et des forêts - appropriée au présent thème - est
de se plaire à transpercer les femmes de ses projectiles (des flèches
chez les Romains, des balles au siècle des Lumières !) mais à protéger
les jeunes filles et les jeunes animaux, surtout des gibiers qui lui sont
chers. C'est pour cela qu'on la regardait chez les Romains comme divinité
tutélaire de la chasse, car avant même les écologistes elle gérait rationnellement
les réserves cynégétiques ! Et dans le texte de notre chanson cette égérie
qui tient le chasseur en alerte ne lui laisse pas atteindre pour autant
le jeune tendron et gibier d'amour qu'il découvre dans sa quête.
Dieu
sait pourtant que l'homme recherche, sans cohérence biotopique, soit la
perdrix, au naturel doux, timide vite effarouchée quoique sociable, soit
la bécasse, oiseau fort peu intelligent utilisé dans des expressions significatives
: c'est une bécasse, c'est une femme sans cervelle, naïve et gauche.
La bécasse est bridée, se dit de quelqu'un qui s'est laissé attraper,
qui s'est laisser engager de telle sorte qu'il ne peut plus se dédire
ou refuser le gage que demande par exemple en finale le chasseur. Car
ce dernier est en passe d'avoir tiré la bécasse, expression figurée
et proverbiale signifiant qu'il sait cacher son jeu, sa supériorité, son
adresse pour mieux tromper. Et il s'en faut de peu, que de la sage prudence
de l'égarée dans ce bois, pour qu'il ne pousse plus loin son avantage.
Les protagonistes sociaux de l'histoire sont donc finement
plantés par les métaphores, n'en déplaise à Tiersot. Car cet échange dialogué
entre un chasseur aisé , et plutôt dominateur (il se permet parfois de
tutoyer la jeune fille, alors qu'elle le vouvoie et lui donne du Monsieur)
rappelle, sans l'ombre d'un doute, le thème et la structure des anciennes
pastorales. La bergère est seulement devenue quelque villageoise moins
revêche, plus accorte ; les différences sociales entre les deux intervenants
se sont un peu estompées et la lutte de classe entre paysannerie et noblesse
transperce peu dans un échange de courtoisie et politesse galante. Sans
plus. Pour le, ou deux, ou même trois baisers, "d'accord !" dit la moins
bécasse qu'il n'y paraît, ajoutant avec une pointe d'humour "C'est
pour moi beaucoup d'honneur", mais adieu quand même !
Extrait de J. Tiersot :
Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises,
Librairies dauphinoise et Savoyarde, Grenoble et Moûtiers, 1903, Chapitre
IV : Les chansons d'amour, p. 265 :
"La poésie est fort plate, rapportant simplement le dialogue
très anodin d'un chasseur avec une fille qu'il trouve égarée dans la forêt,
et qu'il remet charitablement sur le bon chemin. Avant qu'ils se séparent,
le chasseur demande " un doux baiser " qui lui est accordé avec l'accent
de la plus vive reconnaissance :
Prenez-en un, prenez en deux,
Prenez-en deux, prenez -en trois,
C'est à votre choix.
Vous m'avez d'un si grand cœur
Rendu service,
C'est avec beaucoup d'honneur,
Adieu, vaillant chasseur !"
(1) J. Tiersot, réf. ci-dessus.
(2) Il a fusil, nécessairement coûteux pour l'époque, et il ne braconne
pas.
(suivante)
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