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1
Dans un vallon sur un gazon
Qui termine, termine la plaine
J'entendis dire à Madelon
Assise au bord d'une fontaine :
Non, non, ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine (bis).
2
Ah Madelon qu'avez-vous donc
Qu'avez-vous, qu'avez-vous qui vous gêne ?
N'avez-vous pas un beau jupon,
Un bon tablier de futaine ?
Non, non, ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine (bis).
3
Voulez-vous ce joli ciseau,
Ce ciseau, le ruban et la gaine ?
Ou bien voulez-vous ce couteau
Dont le manche en est d'ébène ?
Non, non, ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine (bis).
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4
Mais Madelon qu'avez-vous donc ?
Que voulez-vous, que voulez-vous pour étrenne ?(1) Voulez-vous cet or,
ce bijou
Ou bien voulez-vous être reine ?
Non, non, ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine (bis).
5
Voulez-vous un joli mari
Un mari, un mari qui vous aime
Et que de vous il soit épris ?
Et que vous en soyez de même ?
Non, non ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine (bis).
6
Vos peines vont bientôt finir
Madelon, Madelon je vous aime.
L'amour va bientôt nous unir,
Tous les deux à la même chaîne.
Oui, oui, c'est ainsi cela
Cela qui finirait ma peine (bis).
(1) Le vrai vers doit être : Que voulez-vous,
voulez vous pour étrenne ?
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Car sa vénalité n'est plus d'actualité
Madelon,
diminutif de Madeleine, n'est pas prénom quelconque, mais s'inscrit dans
le thème de la chanson parce que l'on se remémore la pécheresse repentante
de l'Evangile. La locution faire la Madeleine (1223) ou l'emploi
autonome de madeleine, sans majuscule, au sujet d'une courtisane
(1576), et plus tard l'expression pleurer comme une madeleine (1883)
illustrent dans le temps l'évolution du concept du personnage, sujet d'une
tradition picturale parallèle, très forte à partir de la Renaissance.
Notre chanson illustre donc un jalon sémantique de cette mutation puisque
son héroïne y est mise en peine, presque à en pleurer comme dans
son acception conventionnelle du XIXème siècle. Et elle n'est plus la
vénale fille biblique : fi de la possession ou cadeau douteux d'un beau
jupon, d'un tablier de futaine, d'un ciseau avec gaine et ruban, d'un
couteau au manche d'ébène ou de quelques bijoux d'or ! Non, ce que Madelon
désire n'est pas un bien mercantile, mais seulement celui qu'elle aime.
Ce que rabâche le refrain, avec une feinte méprise sur la nature de la
peine puisque l'amour - le vrai - est seul en cause.
Le genre de la chanson à refrain se développera davantage
sous la Révolution ! Le refrain permet en effet, par son leitmotiv musical
et textuel, de mettre en exergue une dénégation, une conclusion morale
ou idéologique de l'histoire racontée, dans un couplet qui tend à se suffire
à lui-même.
Ici répétitive et énumérative la chanson se résume à "Non
ce n'est pas cela qui me peine", ce que formule le refrain. Mais la
structure, le modèle et le thème de tout le morceau ont leur prototype
avec une semblable chanson populaire donnée en 1703 par Christophe Ballard,
dans brunettes et petits airs tendres. Cet autre exemple, titré
le Bobo de la jeune fille, après avoir aussi énuméré tout ce qui
peut la tenter surtout pour sa coquetterie vestimentaire, nous apprend
pareillement, dans la dernière strophe, que ce qui chagrine cette personne
nubile est de ne pas avoir d'amant ou de mari. A titre d'exemple mettons
en parallèle deux fractions desdites chansons :
Ballard
Ma fille voulez-vous un jupon ?
Qui soit de laine ou de coton ?
Non, non , ma mère
Ce n'est point là ma maladie.
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Berssous
Ah Madelon qu'avez-vous donc ?
Qu'avez-vous, qu'avez-vous qui vous gène ?
N'avez-vous pas un beau jupon,
Un bon tablier de futaine ?
Non, non, ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine (bis)
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On trouve, en patois de la Mayenne, une chanson très voisine
de celle publiée par Christophe Ballard : son timbre est celui de Cadet
Rousselle. Ce n'est pas un hasard puisque cette autre chanson énumérative
égrène son refrain lancinant :
"Ah, ah, ah ! Mais vraiment
Cadet Rousselle est bon enfant
en deux vers totalisant 14 syllabes (6+8) ou notes, presque
autant qu'en ont les deux derniers de notre chanson (en 7+8)
"Non, non, ce n'est pas cela
Cela qui me met en peine."
Les sixains des deux chansons les renvoient donc l'une à
l'autre avec un timbre de refrain qui pourrait être même commun, mais
sans nécessité absolue. Seule est à souligner l'analogie.
Partition de Cadet Rousselle dans la Clef du Caveau,
n°658 : les deux derniers tiers de notre chanson peuvent être portés
par le même timbre. Et il suffirait d'une mesure en plus, en fin de première
ligne musicale (croche plus noire) pour que toute la chanson puisse tenir
sur la partition à peine allongée. Il existe différentes partitions régionales
de Cadet Rousselle, assez diverses en longueur et variations de timbres
(voir Chansons savoyardes, op. cité en Bib. Gén., p. 425-433.). L'adaptation
desparoles du manuscrit Berssous sur le timbre du Bobo de la jeune
fille est encore plus facile.
(suivante)
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