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ADIEU MA JOLIE FLAMANDE |
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1 Adieu ma jolie Flamande 2 Quoique je sois provencenle(2) 3 Ne crois-tu donc pas ma chère, (1) Sous-entendu "en mariage". |
4 Ce n'est pas là mon attente 5 Quand tu seras dans la France |
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A cause de Churchill et de la reine d'Angleterre "Cette chanson est une des plus populaires qu'il y ait en France" note Tiersot(1) qui la signale à Bessans et Nevache pour les Alpes françaises, tandis que Ritz(2) l'a recueillie à Naves (Haute-Savoie) et que Servettaz(3) l'a relevée comme chanson "du soldat". Robine(4) en donne une version berrichonne "dont les origines semblent venir du Roussillon, mais dont on a retrouvé des variantes en Franche-Comté, en Dauphiné, en Haute Bretagne" où, même dans les environs de Rennes, il est bel et bien question d'un départ pour l'Italie, l'amante quittée manifestant souvent sa crainte d'avoir alors des rivales étrangères :
Mais dans le texte fourni par Berssous le militaire s'est épris réciproquement d'une Flamande et il s'émeut aussi des autres amants qui lui succéderont dès qu'il quittera le territoire des Flandres, puisque déjà "les troupes de la Reine dans le Brabant sont campées". Quelle reine ayant le statut de chef d'état put avoir eu des armées à son service ? La régence d'Anne d'Autriche jusqu'en 1651, durant la minorité de Louis XIV, ne convient pas pour une simple concordance historique de vocabulaire. L'expression "vivre à la grenadière" de la strophe trois de la chanson explicitant "vivre comme un grenadier", ne peut être que postérieure au mot féminin, apparu en 1680(5), après que les premiers soldats qui lançaient des grenades aient été, en 1667, appelés "grenadiers"(6). Répertorions pour les variantes de la chanson des diverses amantes du soldat français selon leurs origines provinciales. En Flandres la femme craint la française, et en France, elle nomme l'italienne ou l'allemande. Autant dire sous le règne d'un souverain en guerre avec tout une partie de l'Europe, d'où les migrations de l'amant-soldat. Il vient à l'esprit, cette Grande alliance de La Haye, coalition contre Louis XIV, dans laquelle entrent l'Angleterre, la Hollande et, avec l'Autriche, la plupart des Etats de l'Empire. En 1703 les armées de Savoie et du Portugal quittent le camp du grand Louis pour rejoindre l'adverse ; de 1704 à 1709, le Roi-soleil accumule les revers militaires avec en 1708 la France envahie au nord, suite au désastre français que sont les défaites successives de Hochstaedt (1704) en Bavière, de Ramillies (1706), Oudenarde (1708), Malplaquet (1709) dans les Flandres. Grâce au fameux général anglais John Churchill de Malborough, chansonné par les soldats français sous le nom de Malbrough, sur un air célèbre : Malbrough s'en va-t-en guerre dans lequel, à tort, on le déclare "mort et enterré"(7). Malborough (1650-1722) fut favori des souverains anglais de l'époque, dont la Reine Anne qui gouverna le Royaume-Uni, avant et après l'Acte d'Union (1707), soit de 1702 à 1714 ; l'ambitieux et orgueilleux duc épousa d'ailleurs Sarah Jennings, la favorite et l'amie de la reine. C'est donc à cette souveraine que la chanson fait allusion, aux alentours de 1706-1709. Ce repérage historique du texte contribue à la connaissance d'une chanson qui fut exportée jusqu'au Québec, puisque M. Barbeau, qui l'y a trouvée, note qu'elle est en "distiques masculins de 16 pieds rimant deux par deux, dont la majorité ont une laisse avec césure épique ou féminine au huitième"(8). Mais le libellé souvent malhabile de la version Berssous ne nous permet pas de discerner une structure élaborée aussi systématique. Preuve en est par exemple la transcription orthographique. La forme écrite du mot provencenle, qui ne rime avec aucune autre fin de vers, renvoie à deux substantifs (provençale ou provinciale) issus du même mot latin. Sur le plan de la signification, même si la Provence a gardé jusqu'à la Révolution des privilèges particuliers, son appartenance française sous la royauté des trois Louis exclut qu'une quelconque de ses habitantes intervienne anarchiquement dans la logique de l'histoire en introduisant une sorte de rivalité avec la femme "française" qu'elle est à part entière. Comprendre par contre le mot comme "provinciale" s'inscrit dans la cohérence du propos de la Flamande qui, quoique ressortissante des " Provinces-Unies " constituées en 1579, n'en dit pas moins son amour pour les Français, dont son amant. Mais n'accusons pas pour autant le collecteur du recueil Berssous de trop d'erreurs et de fantaisies dans son orthographe. Le patois savoyard n'a pas partout perdu la distinction entre an et en, prononcés in ou un, générale en franco-provençal, et notamment conservée dans les cantons ruraux au sud de l'Arve et du Rhône(9). Même dans la vallée d'Abondance on dit aussi rintra, binda, tin, etc. pour rentre, bande, temps(10). En d'autres termes, pour un haut-chablaisien contemporain de Berssous, l'écriture du mot provencenle pouvait le faire prononcer et entendre provincinle, et non pas provençale ! Ce n'est peut-être pas là le seul régionalisme marqué que l'on trouve dans le manuscrit. La mélodie et le texte ici donnés sont plus récents que cette chanson dont le même thème se profile dans une version datée de 1573 selon Henri Davenson. Le ton primesautier des paroles, la mesure battue à 6/8 traduisent l'esprit de chansons à danser transcrites pour la marche. La tradition, l'imprégnation franco-provençale ou/et savoyarde s'y affirment au su de cette remarque de Secret : "Peut-être pourrait-on discerner chez nous une préférence spontanée pour le rythme binaire, qui est celui de la valse. Et dans le rythme binaire, peut-être faut il considérer le 6/8, qui est celui de la marche dansante, avec trois petits temps sur chaques pieds "(11). C'est d'ailleurs aussi la mesure de la Montférine ou Manfarine qui, selon les observations de nombreux folkloristes, et de Tiersot, est une danse caractéristique du répertoire savoyard. Stendhal en parle déjà dans la Chartreuse de Parme quand il traite de l'entrée des Français à Milan, en 1796, qui l'apprennent des femmes du pays. C'est en Tarentaise et dans la région de Sallanches et Megève que Tiersot a recueilli des monfarines. Cette chanson dialoguée de couple en instance de séparation forcée a eu plusieurs titres : Le départ pour l'armée (donnée par Henri Davenson) AUTRE DOCUMENT : Grand dieu que je suis à mon aise, extrait musical tiré de Anthologie de la chanson française, La tradition, Cd n°9, 11, production EPM : cliquez ici pour écouter. (1) J. Tiersot, Chansons populaires recueillies
dans les Alpes françaises, Paris-Grenoble, 1903, p. 408. Chanson intitulée
: Le départ pour la guerre. |
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