![]() |
92
LE GLORIEUX RÉGIMENT VALAISAN DE FONTENOY |
||||
1 Il nous faut chanter 2 La campagne passée 3 Nos braves grenadiers, 4 L'ennemi vaincu le roi fut imbu(1) (1) Difficile lecture de l'ensemble du mot qui paraît débuter par un j et comprendre un b médian, avec une nécessaire rime en u. Imbu paraît vraisemblable, comme expliqué en commentaire. |
5 Hautbois et basson annoncent sur ce ton 6 Quand nous exerçons 7 Quand nous arrivons à quelque garnison 8 Qui a fait la chanson NDRL : Compte tenu de la présentation désarticulée de la structure versifiée du texte, et entre autres de quelques omissions et erreurs de transcription qui le bousculent, il paraît utile de retrouver une lisibilité plus adéquate, ci dessous. |
||||
Fontenoy, ou comment on meurt en France et en Valais Il manque sans doute les deux vers en trois lignes débutant la première strophe de cette chanson, ni paginée, ni répertoriée dans la table du manuscrit. La différence de métrique avec les deux précédentes strophes d'une autre chanson, en vis-à-vis de la présente, laisse présager qu'il y a eu arrachage, voulu ou accidentel, dans un manuscrit aujourd'hui si désarticulé que le dégât n'est pas discernable, sauf quand l'incohérence apparaît dans le suivi des strophes où la béance devient flagrante. Sous l'angle paléographique le mot le plus effacé et peu lisible du texte est imbu où il débute par un j et non un i, anomalie qui suscite l'intérêt. En effet les Romains utilisaient déjà un i long pour marquer la voyelle par un accent. Au début du Moyen-Age, les écritures, bénéventine jusqu'au XIIIème siècle, et wisigothique jusqu'au XIIème siècle, emploient un i long au début des mots. A partir du XIIIème siècle, en France, le i long est courant devant m, n u¸ dont les jambages peuvent se confondre avec celui du j. Cet usage devient de plus en plus fréquent à la fin du Moyen-Age, où le i long tend même à se généraliser à l'initiale de tous les mots. Ce n'est qu'en 1542 que le grammairien Meigret propose d'utiliser systématiquement le i long pour noter le j ; et "à la fin du XVIème siècle, les imprimeurs commencent à adopter ce signe ; mais en 1718, le Dictionnaire de l'Académie mélange encore les mots qui commencent par i et ceux qui commencent par j" (Gd. Larousse Encyc., 1962). C'est dire que la main qui écrivit cette chanson avait du faire son apprentissage de l'écriture plutôt au début du XVIIIème siècle ! Ces problèmes de forme du texte évacués, venons en au fond qui porte sur le régiment fameux de mercenaires helvétiques. Après le désastre de Marignan, la période patricienne suisse (1516-1798) se signale par la décadence des institutions militaires cantonales. A l'inverse, c'est durant cette période que le service des Suisses à l'étranger connaît sa plus grande ampleur en fournissant des contingents soldés à toutes les monarchies d'Europe, et principalement à la France. Cependant l'insuffisance de l'instruction des recrues ne faisant que 12 à 30 jours par an de service militaire, conjuguée à l'absence d'un commandement unique, amènent en 1798 l'effondrement des troupes suisses devant les armées du Directoire, lequel suscite des troubles entraînant aussi la proclamation de l'indépendance vaudoise. Mais en cette même année 1798 la création de la Légion helvétique, précédant de peu les régiments suisses de la Grande Armée napoléonienne, renoue la tradition de la glorieuse infanterie des cantons, même si Berne est conquise et le Valais occupé. 1798 est donc l'année de maints chambardements administratifs dans les secteurs géographiques qui jouxtent le Chablais savoyard. Et de l'autre côté des crêtes de montagnes à vaches qui limitent l'horizon oriental de la vallée d'Abondance, depuis la Savoie, on peut toujours voir et visiter le canton helvétique du Valais. Même, comme de nombreux autochtones, pour faire ses achats et ventes, on a pu, par le Pas de Morgins (un toponyme frontalier), fréquenter la vallée du Rhône en amont du Léman. Et réciproquement. Depuis des années et des millénaires ! En 1792 par exemple, lors de l'imminente occupation du Chablais par les troupes françaises, un bataillon de Courten a quitté Thonon pour le Val d'Aoste en empruntant la vallée d'Abondance et le Pas de Morgins. En 1794, déserteur ou démobilisé, un certain J.-C. Berthet, ex-soldat du régiment de Courten et habitant de Richebourg, un hameau d'Abondance proche de la Chapelle-d'Abondance, menace de son sabre la municipalité républicaine dont la politique ne lui convient pas ! On est en pays de connaissances malgré les événements de la Révolution. D'ailleurs très antérieure à eux cette chanson, à la gloire des Suisses utilisés par la monarchie française, et donc seulement insolite dans le contexte politico-militaire et ultérieur du moment, fait la louange du régiment de Courten. Or les Courten forment une famille helvétique du Valais, attachée au service de la France. On en cite Maurice, qui entra d'abord comme cadet dans le régiment porteur du nom familial, en avril 1706, avant d'être nommé lieutenant-colonel puis Comte de l'Empire en mai 1742, enfin lieutenant-général en janvier 1748 et Grand-Croix de Saint-Louis en 1757. Dans l'armorial nobiliaire les armes des Courten sont de gueules, au globe cintré et croisé d'or. Maurice de Courten commandait son régiment de 2100 hommes à Fontenoy(1). Les soldats suisses au service de la France lui fournirent, en 377 ans, près d'un million d'hommes (dont 77000 sous Louis XIV) et 400 généraux. Les Suisses de la garde du roi comprenaient la compagnie des cent suisses, le régiment des gardes suisses. Existaient aussi les régiments d'infanterie d'opérations tels que ceux décrits par la chanson, avec leurs "grenadiers", hommes robustes chargés de lancer des grenades par une sorte de fusil approprié, depuis 1661. Ajoutons que les Valaisans étaient d'excellents soldats et que nombreux furent ceux qui servirent à titre de mercenaires dans les armées française, autrichienne et sarde. Un historien des Suisses à l'étranger saura trouver quand le grand roi Bourbon gagnant bataille grâce aux dits mercenaires leur accorda de porter sur leurs drapeaux, en lettres dorées, fidélité et honneur(2)… Et le Français moyen a retenu de son histoire nationale la fameuse bataille de Fontenoy (au sud-est de Tournai, en Belgique) qui fut une victoire française remportée sur les troupes anglo-hollandaises, en présence de Louis XV le 11 mai 1745, c'est-à-dire effectivement au printemps comme le dit la chanson, et notamment grâce au sacrifice de ses effectifs suisses. Le front français formait peu ou prou un angle à 90°. Le côté droit avait à affronter les troupes hollandaises et le gauche les anglaises. Il convenait donc de bien contrôler aussi l'angle vers son sommet puisque jonction ou séparation des contingents alliés dépendait de ce secteur par eux tenu. C'est par là que le régiment de Courten, face aux Anglais, avait pris position. Il avait à surveiller l'ennemi s'il ne voulait être enfoncé, contourné et pris en tenaille. La défense tous azimuts qu'évoquent les strophes 3 et 4 est donc justifiée par les péripéties stratégiques qui adviendront. Le comte de Koenigseck, qui accompagnait le duc de Cumberland commandant les Anglo-Hanovriens dans les ¾ de cercle autour des Français (eux dirigés par Maurice de Saxe), effrayé d'avoir à pénétrer l'impressionnante barrière adverse de fer et de feu, conseillait de se contenter de harceler, sans attaquer, les troupes de Louis XV. Mais il ne fut pas écouté et l'enfer de feu meurtrier eut lieu, comme il est dit aussi dans la chanson, faisant de Fontenoy l'une des plus sanglantes batailles de l'histoire. On commença par se canonner de part et d'autre. Les Hollandais furent neutralisés jusqu'à la fin du combat par le feu français. Mais les Anglais attaquèrent en masse au centre du côté de l'angle où était leur alignement : au pas cadencé, comme à la parade, les canons de Louis XV y faisant de larges brèches dans leurs rangs. Arrivé devant la ligne française, Lord Charles Hay, capitaine des Gardes
anglaises crie : Cliquez l'image pour agrandir Voltaire a bien montré qu'il ne s'agit pas, comme on l'a cru, de déclarations désinvoltes dans une guerre en dentelles : la longueur de réalimentation des fûts des pièces qui tirent (fusils et canons) fait ensuite perdre du temps pendant que vous charge avantageusement l'ennemi. Gagner la bataille demande un sacrifice sanglant à son dieu, et il vaut mieux prendre l'adversaire de vitesse, quitte - formule inhumaine - à avoir de lourdes et premières pertes en vie de soldats. C'est dire si les Français en ont. Les deux bataillons de Gardes suisses sont aussi très éprouvés. Et "Le régiment de Courten est décimé : son chef est tombé l'un des premiers ainsi que 4 officiers et 75 soldats. 14 officiers et 200 soldats sont grièvement blessés". Même après le feu et la riposte française, avec ses trois premiers rangs anéantis, la colonne anglaise a pu sérieusement avancer et emboutir le camp de la France, lequel tarde mais réussit à réagir et emporter la bataille. Bilan : les Anglo-Hanovriens ont perdu 15000 hommes (dont 2000 prisonniers) et les Français plus de 7000. Louis XV, le soir, en parcourant le champ de cette boucherie que jonchent les morts, dit à son fils : "Voyez ce qu'il en coûte de remporter des victoires. Le sang de nos ennemis est toujours le sang des hommes. La vraie gloire c'est de l'épargner". Demandant que l'on prenne soin de tous les blessés et qu'on traite les ennemis comme ses propres sujets, le roi s'est découvert devant les drapeaux de ses régiments victorieux, et la chanson fait allusion à cet hommage. Les Valaisans décimés ayant besoin d'un sang nouveau, leur pérégrination en Belgique les amène sans doute à s'associer le Liégeois auteur des strophes de la chanson, et qui le dit sans incongruité dans la dernière. Ajoutons enfin une explication à la promptitude vantée des dits Suisses à se mettre en carré. Le fantassin pouvait charger et tirer avec sa baïonnette fixée au canon du fusil. Le carré était la formation classique d'une unité de cette piétaille contre la cavalerie, mais souvent il suffisait que le dernier rang d'une ligne fasse volte-face pour arrêter de petits corps de guerriers à chevaux dont on attendait qu'ils chargent à l'arme blanche. Lorsqu'un cavalier voulait forcer la formation ennemie il faisait à son cheval emprunter généralement les allées entre les carrés de fantassins, mais il était rare qu'une infanterie solide soit brisée par une charge de cavalerie. Si l'infanterie était assaillie au moment où elle changeait de formation, elle risquait d'être écrasée, comme à Albuera en 1811. Il fallait, pour de telles modifications, faire vite, en "un instant" changer de dispositif comme l'explique la strophe 6 de la chanson, et le montre le tableau de Melchior Wyrsch où le régiment valaisan de Courten repousse à Fontenoy une charge de la cavalerie anglaise. La marche du Régiment de Courten à Fontenoy, donnée ici en annexe, a été composée (air et texte) au XIXème siècle. Les paroles offrent une vision conventionnelle de "La guerre en dentelles" pour "la grandeur de la France". Un tel nationalisme n'existe pas dans notre chanson du XVIIIème siècle : les mercenaires valaisans sont au service du colonel qui les recrute, du roi Bourbon qui les emploie, et pour lesquels ils accomplissent leur métier avec " honneur et fidélité ". De réels timbres de musiques ou chansons militaires nés pour célébrer cette victoire de Fontenoy - on en trouve dans les chansonniers Clairambault Maurepas - voire d'anciennes marches de soldats chablaisiens, valaisans ou suisses peuvent peut-être suggérer un air pour les présentes strophes Berssous, métriquement mieux structurées quand on les libelle correctement. La marche du Régiment de Courten à Fontenoy,
cliquez pour agrandir, puis retour pour revenir au texte. (1) Sur les de Courten, généalogie, faits
d'armes, drapeaux : |
|||||